Front de gauche : dispersion des forces

La coalition de gauche aborde les municipales très divisée. Dans plus d’un tiers des villes, les formations qui la composent seront en concurrence.

Michel Soudais  • 30 janvier 2014 abonné·es

Le 21 janvier 2013, les neuf formations du Front de gauche adoptaient un texte stratégique intitulé Imposer une alternative à l’austérité. Sous-titré « Agir ensemble et développer le Front de gauche », ce document précisait leur analyse commune de la politique du gouvernement, les objectifs de leur alliance dans la période politique inaugurée par l’arrivée de François Hollande à l’Élysée et l’élection d’une majorité PS à l’Assemblée nationale, ainsi que les moyens de les mettre en œuvre. Un an plus tard, c’est en ordre dispersé que le Front de gauche affronte la bataille des municipales, et personne n’imagine que ce scrutin puisse favoriser son développement. Le texte de 2013 annonçait certes « un débat spécifique » sur les élections de 2014 entre les formations signataires ; il en traçait néanmoins « quelques traits ». Jugeant « probable  […] que l’année 2014 pose encore plus l’urgence de rompre avec les politiques d’austérité pour répondre aux exigences populaires », les organisations du FG déclaraient à propos des municipales : « Nous voulons faire de cette élection et des prochaines municipalités des points d’appui pour refuser la logique austéritaire du gouvernement, l’asphyxie des collectivités.   »

À l’occasion d’un conseil national qui s’est tenu le 23 janvier, le PCF a présenté un état des lieux des choix faits par ses sections dans 408 des 428 villes de plus de 20 000 habitants. Il aura des candidats dans 384 de ces communes.

Dans 193 de ces villes (50,3 %), les communistes ont fait le choix du Front de gauche. Parmi celles-ci figurent les 33 villes qu’ils dirigent en association avec le PS : dans 28 d’entre elles, les socialistes ont accepté d’être sur ces listes en position minoritaires ; ils seront en concurrence ouverte dans les 5 autres.

Si le PCF se présente seul dans 4 villes, il a préféré l’association avec le PS dans 182 villes (47,4 %), dont 119 dirigées par un maire socialiste ou issu d’une autre composante de la gauche. En 2008, c’était le cas dans 288 villes (70,5 %).

Le texte estimait aussi possible de faire de cette élection et des européennes « deux moments importants pour faire évoluer le débat et les rapports de force ». Avec, dans ces deux scrutins, « la perspective d’une autre issue politique que la politique d’austérité aujourd’hui menée par le gouvernement Ayrault en France tout comme par l’Union européenne. » Cette logique nationale est aujourd’hui mise à mal. Dans 18 des 40 villes de plus de 100 000 habitants (Paris, Toulouse, Nantes…), les militants communistes ont préféré « le rassemblement » derrière le PS plutôt que le Front de gauche. La proportion est identique dans les villes de plus de 20 000 habitants (voir encadré). « Les municipales sont des élections locales avec des situations extrêmement différentes », justifiait encore ce week-end Pascal Salvoldelli, le « Monsieur élections » du PCF, sur le JDD.fr. Différentes, mais aussi conflictuelles : « Dans les trois quarts des villes de plus de 20 000 habitants, il y aura des listes autonomes », affirme Martine Billard, coprésidente du Parti de gauche. Avec forcément de nombreux candidats du PG ou d’Ensemble opposés à leurs alliés communistes d’hier. « Les rabibochages ne seront pas évidents », reconnaît Martine Billard. Si la rencontre au sommet entre PCF et PG a permis d’apaiser les tensions, il ne sera pas facile de tourner la page. D’abord dans les villes où les militants fidèles à la stratégie du Front de gauche auront été en concurrence électorale avec ceux du PCF : les communistes y sont suspectés de privilégier des postes à leurs convictions, ce qui aura des incidences sur la désignation des candidats aux prochains scrutins cantonaux ou régionaux. Jusqu’ici, le PCF réclamait la plupart des investitures (80 % aux législatives) ; une prétention que beaucoup comptent bien contester.

Quand viendra l’heure du bilan, les débats pourraient également être rudes au sein d’un PCF très partagé. La proportion de villes où les militants ont opté pour des listes Front de gauche est importante. Leur choix s’est fait parfois contre l’avis de leurs élus, comme à Lyon. À Montpellier, six élus municipaux, dont le secrétaire de la fédération PCF de l’Hérault, ont rallié le candidat socialiste, contre le choix presque unanime des militants engagés sur la liste Front de gauche menée par Muriel Ressiguier (PG). À l’inverse, des militants communistes n’acceptent pas de faire campagne commune avec le PS, et font le choix de partir sur des listes autonomes, parfois en première ligne. C’est le cas de Xavier Duchaussoy, tête de liste dans le XVIIe arrondissement de Paris, ou de Karim Mellouki, qui conduit à Reims une liste regroupant des communistes, dont une maire adjointe, le PG et Ensemble. Éclaté sur des listes concurrentes, le Front de gauche a peu de chance de peser sur le scrutin et la lecture qui en sera faite. « C’est une occasion manquée », regrette Martine Billard, persuadée que « des listes Front de gauche partout auraient permis de construire un mouvement populaire plus important que ce qui avait déjà été construit à la présidentielle ». Un rêve couché sur un chiffon de papier. Il y a un an. Il y a bien longtemps.

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