Le défi lancé à la gauche

Si François Hollande est devenu « social-démocrate » le 14 janvier, qu’était-il donc auparavant ? Communiste ? Révolutionnaire ? Bolchévique ?

Denis Sieffert  • 23 janvier 2014 abonné·es

Cela a été dit et répété au lendemain de la conférence de presse du 14 janvier : François Hollande a semé la zizanie à droite. Dépêchons-nous d’en rire ! Car, si les dirigeants de l’UMP et leurs alliés centristes sont en face d’un délicat problème tactique, que dire du péril, rien de moins qu’existentiel, qui guette la gauche ? Certes, MM. Copé, Fillon et consorts se trouvent fort marris qu’on leur pique ainsi leur programme et qu’on leur dispute ce lien privilégié avec le Medef qui constitue leur fonds de commerce, mais ils s’en remettront. Et puis, c’est tout de même leur politique qui est appliquée ! Les responsables de gauche – ceux qui ne se reconnaissent pas dans le discours de François Hollande – ont à relever un défi autrement redoutable. Sans précaution aucune, le président de la République les a purement et simplement rayés de son paysage politique. Pour les écologistes, qui sont dans la majorité, comme pour la gauche du parti socialiste, c’est « Marche ou crève ! ».

En ouvrant sa conférence de presse par une profession de foi productiviste ( « la France a d’abord un problème de production ; il faut produire plus » ), François Hollande a montré qu’il tenait ses alliés écolos pour quantité négligeable. Le message subliminal est clair : « Vous avez besoin de moi pour exister électoralement, vous n’avez donc pas d’autre choix que de filer droit. » La promesse d’un vote de confiance au Parlement met pareillement au défi la gauche du PS. Voter la confiance à un gouvernement dont on désapprouve la politique, c’est perdre toute crédibilité et c’est se condamner à être inaudible pour longtemps. Ne pas la voter, ce serait s’inscrire dans une logique de rupture dont il faudrait rapidement tirer les conséquences. Nous n’en sommes pas encore là, mais le piège est bel et bien tendu.

Le traitement infligé par François Hollande à ses alliés de gauche (j’inclus évidemment les écologistes dans cette catégorie) a pour effet paradoxal de valider la stratégie d’autonomie du Front de gauche et même du NPA. De ce côté-là, son espoir est de décrédibiliser idéologiquement les responsables de cette gauche de la gauche, et de les marginaliser sur un mode bien connu : « Ils ne sont pas contents, mais de toute façon, ils ne sont jamais contents, et ils n’ont rien à proposer. » Dans l’esprit de François Hollande, il n’y a d’ailleurs rien à proposer puisqu’il a repris à son compte un dogme qui appartient historiquement à la droite la plus libérale : le fameux « il n’y a pas d’alternative », de Margaret Thatcher. Dette, compétitivité, austérité : c’est le grand retour de la pensée unique. Y répondre n’est hélas pas simple. Car il ne s’agit pas seulement de François Hollande, mais de tout un système mis en place dès 1992 avec le traité de Maastricht. Un système que la gauche de gouvernement a fortement contribué à faire admettre par l’opinion. Elle en a ensuite épousé toutes les contraintes. Parfois avec zèle. Aujourd’hui, François Hollande ne fait que mettre les points sur les « i ». On ne se cache plus. Nous sommes des libéraux décomplexés, adeptes des théories de Jean-Baptiste Say… François Hollande n’est évidemment pas « social-démocrate » [^2]. Ou s’il l’a été, c’est le temps d’un discours, au Bourget, en janvier 2012. À ceux qui commettent ce contresens pas vraiment innocent, on a envie de poser cette question : s’il est devenu « social-démocrate » le 14 janvier 2014, qu’était-il donc auparavant ? Communiste ? Révolutionnaire ? Bolchévique ?

Dans ses plus sombres périodes historiques, la social-démocratie a toujours gardé une poire pour la soif sociale. Même Guy Mollet, archétype du social-démocrate à la française. Tandis qu’en Algérie, il faisait sombrer la SFIO dans la plus abjecte répression coloniale, à Paris, il accordait la troisième semaine de congés payés. François Hollande apparaît donc plutôt comme un technocrate libéral dépourvu de la moindre fibre sociale. Avec son pacte de responsabilité, il s’en remet entièrement au Medef. Ses fameuses « contreparties » sont une chimère. Et sur ce point, les patrons ont raison : ce ne sont pas les allégements de charge qui font les embauches, mais les carnets de commandes. Or, les mesures d’austérité destinées à compenser le manque à gagner ne vont sûrement pas aider à garnir les « carnets de commandes » ! C’est même plutôt la récession qui se profile. Mais, paradoxalement, la brutalité (nos confrères ont préféré parler de « clarification » ) du projet libéral du président de la République peut ouvrir un espace sur la gauche. Encore faut-il que la gauche antilibérale et écologique soit capable d’occuper le terrain. Pour cela, elle aurait d’abord besoin d’unité. Et ce n’est pas le plus facile. Mais elle a besoin aussi de recréer une vraie alternative. Il ne suffit plus de résister. Il faut éviter le piège du passéisme, et redevenir force de proposition autour de thèmes simples, audibles et crédibles, remettant en cause l’absurde religion de la croissance, et traçant des pistes pour une redistribution des richesses. C’est possible, mais ce n’est pas gagné.

[^2]: Voir pp. 28 et 29 ce qu’en disent plusieurs historiens et sociologues.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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