Cannabis : un sujet prohibé

Malgré l’échec de la pénalisation et les problèmes de santé publique, l’aveuglement fait consensus dans la classe politique.

Olivier Doubre  • 13 février 2014 abonné·es

Jeudi 6 février. La sénatrice Esther Benbassa (Europe Écologie-Les Verts), entourée de son collègue de l’Assemblée nationale, Sergio Coronado, du maire de Sevran, Stéphane Gatignon (tous deux EELV), et des principaux experts français de la question, présente à la presse une proposition de loi pour le moins inhabituelle au Parlement français. Pour la première fois, celle-ci prévoit d’autoriser un « usage contrôlé du cannabis [^2] ». Pas dupe, la courageuse sénatrice sait néanmoins qu’elle n’a presque aucune chance de voir son texte discuté au sein de l’hémicycle du palais du Luxembourg. Et moins encore de le voir adopté par la majorité parlementaire, à laquelle elle appartient pourtant. Dans l’Hexagone, la réforme du système de prohibition des drogues n’a quasiment pas droit de cité, alors que les effets pervers de celui-ci, voire son échec, sont régulièrement dénoncés par des militants et certains professionnels du traitement des addictions. À la différence de la plupart des pays européens, où le simple usage de stupéfiants est dépénalisé et où les discussions politiques à ce sujet existent. Chez nous, le code de la santé publique sanctionne d’emblée, par son article L-3421-4, le fait de « présenter sous un jour favorable » l’usage des stupéfiants illicites (jusqu’à 5 ans de prison et 75 000 euros d’amende). De même pour la « provocation » à l’usage –  « même non suivie d’effet »  –, qui vaut aussi si ce délit est commis « par voie de presse ». La loi française bannit donc quasiment tout avis contraire au cadre légal institué par la loi du 31 décembre 1970 qui viendrait à s’exprimer publiquement.

Malgré quelques tentatives d’élus isolés, notamment écologistes, les gouvernements de gauche et de droite continuent de refuser tout débat. En dépit de la gravité des problèmes de santé et de sécurité publics induits par la prohibition (comme on le voit avec les règlements de comptes à Marseille ou dans certains quartiers mis en coupe réglée par des dealers, par exemple), celui qui propose de simplement discuter du sujet passe immédiatement pour un dangereux laxiste. Vincent Peillon, le ministre de l’Éducation, en a fait la douloureuse expérience à la rentrée 2012. Ayant pris connaissance de la dernière enquête, particulièrement inquiétante, de l’Observatoire français des drogues et des toxicomanies (OFDT), laquelle place les jeunes Français parmi les tout premiers consommateurs de cannabis en Europe pour leur tranche d’âge, le ministre avait alors émis le souhait de voir « débattue la question de sa dépénalisation » au nom de la santé publique. En s’étonnant « du côté retardataire de la France sur un sujet qui est, pour  [lui], d’ampleur ». Jean-Marc Ayrault lui a immédiatement rappelé que le sujet ne saurait être abordé.

[^2]: Cette proposition de loi est consultable sur : www.senat.fr/leg/ppl13-317.html . Voir également l’étude préalable de législation comparée sur le sujet, réalisée par les services du Sénat : www.senat.fr/lc/lc238/lc238.html

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