Expliquer la sobriété

On peut innover pour freiner les gaspillages sans perte de bien-être.

Jean Gadrey  • 6 mars 2014 abonné·es

Le terme de sobriété fait désormais partie du langage écologique. Il a été préféré à des termes issus de la philosophie : modération, tempérance, sagesse, etc. Mais des réticences s’expriment, compte tenu de certaines de ses connotations peu engageantes. Parmi ses synonymes dans les dictionnaires, on trouve en effet abstinence, dépouillement et même austérité… La solution la plus fréquente consiste à lui accoler un adjectif « positif » : sobriété heureuse, joyeuse, volontaire, etc. Cela ne règle pas grand-chose. Voici des arguments pour aller plus loin.

Le premier consiste à qualifier la sobriété non pas en cherchant à la vendre par un adjectif sympathique mais en précisant les domaines où elle s’appliquerait, ainsi que ceux où elle n’a pas lieu d’être. La sobriété énergétique peut avoir du sens, tout comme la sobriété matérielle. On peut alors convenir que cette exigence de recours mesuré à certains biens communs n’a aucune raison de concerner des activités, plaisirs ou passions dans d’innombrables domaines autres que la consommation matérielle. L’un des mots d’ordre de l’économie solidaire est « moins de biens, plus de liens ». Quant à la dynamique association basque Bizi, elle a récemment placardé des affiches avec ce slogan : pour la Saint-Valentin, faites l’amour, pas les magasins…

Mais cela ne suffit pas. Même dans le champ de la consommation matérielle ou énergétique, il faut décortiquer la notion de sobriété pour l’enrichir et la rendre désirable. C’est ce que font des associations comme négaWatt ou Virage énergie pour la sobriété énergétique, mais c’est valable pour les autres formes de sobriété matérielle. La sobriété y est à la fois individuelle et collective, et elle exige souvent des innovations sociales et organisationnelles pour freiner les gaspillages sans perte de bien-être et avec un souci d’équité. En font partie ces catégories très importantes que sont « l’économie de fonctionnalité » (la sobriété par le partage, la mutualisation et la coopération) et l’économie circulaire (le recyclage, la réparation…), mais aussi le choix de biens durables selon les principes du juste dimensionnement et du juste usage. Ou encore la réduction des volumes d’emballage, les circuits courts, les monnaies complémentaires, l’éco-conduite, l’abandon de certains projets routiers ou de grands projets inutiles, etc.

Est-ce trop demander à ce terme, trop souvent invoqué pour « responsabiliser », voire « culpabiliser », des individus ? Non, c’est l’enrichir pour en faire un des vecteurs positifs d’une transition écologique et sociale qui aura besoin, au-delà des nécessaires « petits gestes » individuels, d’organiser collectivement une lutte efficace contre la démesure matérielle et l’ébriété énergétique. Selon le scénario négaWatt, les techniques sociales et les comportements de sobriété réduiraient d’environ un quart la consommation d’énergie finale d’ici à 2050, et l’efficacité énergétique (exemple : des logements bien isolés) de plus d’un tiers, le tout sans perte de bien-être lié à l’énergie, au contraire. Cela n’a vraiment rien à voir avec une austérité punitive et toujours inégalitaire.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

Temps de lecture : 3 minutes