La RTT, c’est possible tout de suite !

Le passage aux 32 heures permettrait de diminuer rapidement le chômage. Au moins de moitié.

Olivier Doubre  • 3 avril 2014 abonné·es

Vendredi 28 mars, dans la « Matinale » de France Inter, le keynésien Bernard Maris soulignait, dans son débat hebdomadaire avec son collègue néolibéral des Échos Dominique Seux, que la seule mesure contre le chômage de masse pour laquelle l’exécutif n’a pas besoin de l’assentiment de Bruxelles est la réduction du temps de travail. Même s’il n’osait l’envisager (prudemment) qu’avec une sensible diminution des salaires.

On doit saluer le fait qu’un économiste considéré comme progressiste se prenne à se souvenir de cette vieille idée, qui appartient pourtant au code génétique et historique de la gauche, quand les principaux acteurs du « camp du progrès » semblent depuis longtemps l’avoir remisée au rang des antiquités supposées inaudibles. On notait ainsi la veille que Libération, s’interrogeant sur la possibilité et le contenu d’un hypothétique « tournant à gauche » de François Hollande après la débâcle des municipales, n’envisageait que la réforme de la fiscalité en faveur des ménages et plus discrètement la transition écologique, mais ne pipait mot de la réduction du temps de travail (RTT). Celle-ci serait pourtant possible, et très rapidement, si le gouvernement la décidait avec une forte volonté politique. Ce qui ne semble malheureusement pas à l’ordre du jour. Pire, comme le souligne Pierre Larrouturou, un des principaux fondateurs de Nouvelle Donne, l’un des très rares partis à porter cette revendication, si « ce fut le grand combat de toute la gauche au XXe siècle, c’est devenu son grand tabou aujourd’hui. On a divisé par deux le temps de travail en un siècle et, dans le même temps, multiplié les revenus par cinq : que la gauche ait oublié cette revendication est une démission scandaleuse. »

Le passage aux 35 heures par la loi Aubry de juin 1998, malgré des difficultés dans des secteurs particuliers (comme l’hôpital), a bien montré que la volonté politique n’est pas une chimère. Le gouvernement Jospin avait espéré la création de 700 000 emplois, cette réforme a permis d’en créer plus de la moitié, comme le rappelait récemment Jean Gadrey dans nos pages [^2]. L’économiste montrait clairement qu’un passage aux 32 heures hebdomadaires est non seulement urgent mais possible – sans baisse des revenus pour les salariés touchant jusqu’à 3 à 4 fois le Smic – en finançant ce surcoût salarial « sur la base du surcoût du capital, soit environ 100 milliards d’euros par an, en incluant les dividendes excessifs ». Sachant que les salariés français travaillent en moyenne 39,6 heures hebdomadaires, passer à 32 heures ou plus précisément, comme le demande Pierre Larrouturou depuis vingt ans, à la semaine de quatre jours – comme l’ont déjà fait plusieurs centaines d’entreprises en France – permettrait de créer à court ou moyen terme 1,6 million d’emplois. « Ce n’est pas moi qui le dis, sourit le fondateur de Nouvelle Donne, mais une étude du ministère du Travail dès 1997 ! Et c’est aujourd’hui le levier le plus efficace pour réduire massivement le chômage sans baisse de salaires, en plus d’offrir un vrai changement dans la vie des salariés. »

Un levier qui devrait être couplé à l’autre modalité de la RTT  : la baisse du nombre des années travaillées, c’est-à-dire la diminution de l’âge du départ en retraite. Mais aussi à d’autres politiques volontaristes, notamment en matière de logement (avec des constructions en nombre, entraînant une baisse substantielle des loyers, beaucoup plus élevés en France que chez nos voisins) et, surtout, de transition écologique. Or, si ces deux dernières (qui pourraient créer de très nombreux emplois) sont sans doute plus longues à mettre en œuvre, la RTT est affaire de volonté politique immédiate. Le fait qu’elle soit la cible acharnée du patronat et de la droite néolibérale devrait interroger nos responsables socialistes au pouvoir. Car, pour les tenants du capitalisme financier, c’est sans aucun doute l’une des mesures les plus dangereuses contre leur logique néolibérale à outrance, puisque le non-partage du travail et un chômage de masse aussi élevé permettent de maintenir une pression considérable sur des salariés fragilisés, bien en peine de revendiquer quoi que ce soit, en dehors de la seule sauvegarde de leur emploi aux conditions exigées par le patronat, toujours prêt, sinon, à délocaliser…

[^2]: Cf. Politis n° 1289, du 6 février.

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L'aveuglement
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