À pied, à cheval et en voiture

Des commentateurs de compète ont déversé des tombereaux de guano sur les abstentionnistes.

Sébastien Fontenelle  • 29 mai 2014 abonné·es

Sitôt qu’a été connu, au soir de ce dimanche d’élection, le résultat que tu sais – et que je ne redirai donc pas ici, tant il me tord la tripe, des commentateurs de compète se sont mis à déverser des tombereaux de m… De guano sur les abstentionnistes – dont j’étais, puisqu’aussi bien, comme je t’ai, je crois, plusieurs fois dit déjà, je ne vote pas (et ne compte pas du tout, dans les temps qui viennent, changer cette habitude). Dans ce déchaînement de délicatesse(s), quelques individus se sont illustrés par leur particulière décence – comme, par exemple, un certain Xavier Gorce, dessinateur chez le Monde (où la Pen n’a pas été, ces derniers mois, excessivement maltraitée), qui (plutôt que de s’interroger sur l’éventuelle part de responsabilité de son employeur dans l’entretien, depuis bien plus d’années que nous n’en pourrions compter sur les doigts de nos deux mains, de l’ambiance furieusement thatchériste où le parti pénique a, de fait, crû et prospéré) a confectionné un crobard pour fustiger : « Une longue tradition de notre peuple, en 40 aussi il y avait 60 % d’abstention. »

Itou, un courageux rhéteur anonyme a lâché, sur le compte Twitter d’une chaîne de la télévision publique française (où la Pen et ses lieutenants ont partout des ronds de serviette), cette déclaration d’une rare dignité (qui a par la suite été retirée), où l’intelligence, de surcroît, s’hissait vers des sommets où jamais encore elle n’était arrivée, et dont je respecte ici l’orthographe : « Des gens se sont fait massacrer, ont terminés leurs vies dans la souffrance et dans des camps. Pour que vous puissiez voter. Bande de cons. »

Ces deux personnages sont, on le constate, des agents actifs du chantage au vote où se vautrent les grands partis « républicains » – et le « socialiste » plus que les autres. Mais (conscients peut-être que cette vilenie est, pour eux, moins aventureuse que, disons, l’étude attentive de ce qu’a été la fonction du journalisme dominant dans l’irrésistible ascension de la Pen) ils lui ajoutent, en guise de petit supplément d’âme, la suggestion, assez nettement exprimée, que si tu refuses, après avoir mesuré – le moyen de faire autrement – qu’il est d’assez longue date devenu, dans les faits, celui du maintien des servages, de prendre le chemin des urnes : tu te mets dans la descendance des maîtres de la France de 1940 [^2], et de leurs maîtres nazis.

Et, quant à moi, je n’envisage bien sûr pas de leur imputer à charge, sous le prétexte qu’ils servent dans des médias qui ne le desservent point, le succès du FN. Après tout, hein : faut bien manger, mâme Dupont. Mieux vaut avoir l’estomac plein, quand on vomit des inepties. Mais je voudrais ici leur adresser, un peu solennellement, et après avoir consulté plusieurs camarades qui ont sur le vote le même avis que le mien, le message suivant : les abstentionnistes vous embêtent – à pied, à cheval et en voiture.

[^2]: Dont le dénommé Gorce semble donc parfaitement connaître la réalité…

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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