Annuler la dette, un « cataclysme » ?

Sans mesures de régulation financière, un krach est probable.

Thomas Coutrot  • 5 juin 2014 abonné·es

« Un effacement même partiel de la dette d’un pays comme la France entraînerait une crise bancaire sans précédent [^2]. »  Qui a tiré le signal d’alarme face aux propositions du rapport d’audit citoyen de la dette publique ^3 ? Ni Jean-Claude Trichet ni Michel Pébereau, les « parrains » des banques françaises, mais notre ami l’économiste François Morin, l’un des meilleurs spécialistes de la finance.

La mise en garde a du sens : la cessation de paiement d’un État mettrait en faillite les banques et les compagnies d’assurances du pays concerné, lesquelles détiennent la majeure partie des titres de la dette. Et la contagion gagnerait l’ensemble du système financier mondial. D’autant plus vite que les banques qui avaient émis des CDS (titres d’assurance contre la faillite) sur les obligations de l’État défaillant seraient obligées de rembourser leurs clients. La crise ne s’arrêterait évidemment pas aux portes des banques, et l’ensemble de l’économie serait touché par l’effondrement d’un système de crédit plombé par ses activités spéculatives. Pourtant, proposer l’annulation de la dette publique n’aurait rien d’irresponsable, et c’est en fait François Morin lui-même qui nous le démontre. Dans la Grande Saignée. Contre le cataclysme financier à venir (Lux Éditeur, 2013), il explique comment, depuis la crise de 2008, rien de sérieux n’a été fait pour diminuer l’instabilité du système. Et pourquoi, en l’absence de mesures drastiques de régulation financière, un krach est probable dans les années à venir. Dans un contexte de bulle financière stimulé par la création monétaire des banques centrales américaine et britannique, la faillite d’une grande institution financière (ou la cessation de paiement d’un pays comme l’Espagne, l’Italie ou la France sous l’effet d’une révolte sociale) déclenchera une crise systémique avec des faillites en chaîne. La crise sera ** probablement ** dramatique, mais elle pourrait mettre à l’ordre du jour des changements positifs. Comme le dit Morin, « plombées d’actifs toxiques, avec des fonds propres ne valant plus rien, ayant subi le rush des déposants, les banques seront rachetées par les États pour un euro […] symbolique ». Le système financier sera donc à nouveau sauvé par les États, mais, cette fois-ci, il ne sera pas possible de le laisser aux mains des actionnaires privés. En outre, « aussi gravissime que soit le désastre, l’effacement des dettes souveraines […] en sera une conséquence positive ». Dans un climat d’instabilité extrême, l’événement déclencheur peut venir de multiples causes, et il n’y a aucune raison de culpabiliser un État qui déciderait de sortir de l’étau néolibéral en commençant par un défaut sur sa dette.

Le travail du Collectif d’audit citoyen est un outil précieux pour mettre au centre du débat public la question des alternatives à la dette et à l’austérité. Il a commencé à percer le mur des médias, mais beaucoup reste à faire. On ne fera malheureusement pas rentrer le monstre financier dans sa cage sans quelques dégâts. Mais le plus probable est que le monstre explosera de lui-même : tout dépendra alors de la maturité et de la crédibilité des alternatives que les mouvements sociaux auront su rendre populaires en amont.

[^2]: Lemonde.fr, 29 mai.

[^3]: audit-citoyen.org

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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