Fiction : La révolution de l’inconditionnalité

2027. Il y a dix ans, la France était le premier pays d’Europe à instaurer
un revenu garanti. L’essayiste Baptiste Mylondo imagine…

Baptiste Mylondo  • 24 juillet 2014 abonné·es
Fiction : La révolution de l’inconditionnalité
Baptiste Mylondo a publié avec Samuel Michalon et Lilian Robin Non au temps plein subi ! Plaidoyer pour un droit au temps libéré, éd. du Croquant, 2013.
© ROBERT PALOMBA / AFP

Cela fait dix ans maintenant que la France a instauré un revenu inconditionnel. C’est en effet en 2017 que la coalition rouge et verte, rassemblant la gauche antiproductiviste, a révolutionné le système social et fiscal français en instaurant ce mécanisme distributif qui assure à chaque résident un niveau de vie suffisant pour accéder aux biens et services essentiels. La France faisait alors face à une situation sociale explosive, conséquence des crises financières répétées et de plus de vingt ans de politiques libérales.

Une situation désastreuse, marquée notamment par un taux de pauvreté indécent (15 % en moyenne, jusqu’à 45 % dans certaines villes). La France comptait plus de 8 millions de personnes en situation de pauvreté en 2014, chômeurs ou travailleurs, principalement des femmes et des jeunes. Surtout, cette pauvreté gagnait du terrain ! Une situation inimaginable aujourd’hui, et qui fait encore honte à certains. « On laissait les gens dans les rues, mendier. Et parfois on leur interdisait même de mendier ! Et pour ceux qui bénéficiaient d’aides, c’était seulement 400, 500 euros par mois. On ne pouvait pas vive avec ça… À la fin, beaucoup n’osaient même plus le demander », avoue Stéphanie, visiblement émue. Elle était bénévole dans une des nombreuses associations qui tentaient de lutter contre la misère. « À présent, la pauvreté monétaire a disparu ! », se réjouit-elle. Forcément, le revenu inconditionnel assure à chaque résident un niveau de vie égal au seuil de pauvreté. En matière d’emploi aussi, la situation a bien changé. Dans les années 2010, la France connaissait un pic de chômage sans précédent (plus de 5 millions de demandeurs d’emploi, toutes catégories confondues). À l’époque, les statistiques masquaient d’ailleurs largement la véritable situation de l’emploi et l’ampleur des difficultés rencontrées par les chômeurs, mais aussi par les travailleurs ! Julien, 52 ans, se souvient bien de cette période. Au chômage depuis cinq ans, il avait été contraint d’accepter une succession de petits boulots mal payés, jusqu’à finir cireur de chaussures dans les couloirs du métro parisien. Aujourd’hui, revenu inconditionnel en poche, il a posé brosse et cirage, et il savoure chacune des nombreuses activités auxquelles il choisit de s’adonner. Au-delà des activités réalisées, c’est aussi le regard des gens qui a changé. « On nous prenait pour des parasites, des profiteurs », se rappelle Claire, 37 ans, longtemps exclue de l’emploi. « Maintenant, peu importe qu’on ait un emploi ou pas, on est tous des citoyens comme les autres, la contribution de tous à la société est reconnue. » Depuis l’instauration du revenu inconditionnel, elle n’a d’ailleurs plus aucun mal à trouver un emploi lorsqu’elle souhaite compléter son revenu. « Beaucoup d’emplois ont disparu, parce qu’ils étaient jugés trop pénibles, dégradants, ou parce qu’ils ne servaient vraiment à rien. Mais, pour ceux qui cherchent un emploi, il y a toujours une place dans une coopérative ou une régie de quartier. »

Les conditions d’embauche n’ont d’ailleurs rien à voir avec ce qu’elles étaient il y a encore dix ans. C’est après son burn-out qu’Hélène, 48 ans, a vraiment pris conscience de la déshumanisation des entreprises. On a tenté de la convaincre qu’elle n’était pas assez productive, pas adaptée aux exigences de son poste. En fait, c’était plutôt l’entreprise qui n’était pas adaptée aux exigences sociales, qui ne se souciait pas assez de ses salariés. Devenue cogérante d’une de ces coopératives qui connaissent un nouvel essor depuis quelques années, Hélène mesure le chemin parcouru. Elle apprécie surtout la sécurité financière apportée par le revenu inconditionnel. « Cela permet de ne pas perdre de vue ce qui compte vraiment, de ne pas être contraint de se détruire lentement au boulot. On peut couper quand il le faut, garder du temps pour les autres, pour soi, pour ce qui compte. » « Ce qui compte », voilà au final ce qui a changé dans les mentalités depuis la révolution de l’inconditionnalité. Le revenu inconditionnel a consacré une nouvelle vision de la richesse, de l’utilité sociale, en rupture avec la folie productiviste et la société de consommation qui s’étaient développées au XXe siècle. Tristan, 22 ans, n’a pas connu cette folie, et il s’en félicite : « Travailler plus pour gagner plus ? Non merci ! Comme dit mon grand-père, il ne faut pas perdre sa vie à la gagner ! ». Les temps changent.

Temps de lecture : 4 minutes