Guillaume Balas : « Les vrais frondeurs, ce sont les “hollandistes” ! »

Proche des députés « frondeurs », le socialiste Guillaume Balas met en garde contre les tensions de plus en plus profondes au sein du PS et se dit intéressé par des rapprochements avec EELV et le Front de gauche.

Pauline Graulle  • 17 juillet 2014 abonné·es
Guillaume Balas : « Les vrais frondeurs, ce sont les “hollandistes” ! »
© **Guillaume Balas** est responsable du courant Un monde d’avance, qui regroupe une majorité de députés frondeurs. Photo : AFP PHOTO / JACQUES DEMARTHON

Suite de notre série d’entretiens politiques sur l’état de la gauche. Fraîchement élu député européen et proche de Benoît Hamon, Guillaume Balas condamne la ligne Hollande-Valls et espère que le prochain congrès du PS sera l’occasion de débattre des vrais sujets. Dans le cas contraire, dit-il, l’unité du parti sera mise en péril.

Comment analysez-vous le moment actuel pour la gauche ?

Guillaume Balas : Il y a eu un premier temps du quinquennat consistant, grosso modo, à mener des réformes sociales-libérales approuvées par le consensus social. Ce premier temps était déjà orthogonal par rapport au programme présidentiel de 2012. Le discours de Manuel Valls à Vauvert [le samedi 5 juillet, NDLR] enclenche un deuxième moment : désormais, le Premier ministre incarne une ligne consistant à entreprendre des réformes sociales-libérales beaucoup plus rapides, de manière beaucoup moins concertée, et en balançant le dialogue social à la poubelle si celui-ci ne va pas dans le sens voulu. Jean-Marie Le Guen était déjà sur cette ligne, avant même que Manuel Valls devienne Premier ministre. Donc ce n’est pas très surprenant, même si cela ne colle pas tout à fait à la ligne présidentielle, qui portait plus d’attention – au moins formelle – au dialogue social.

Il y aurait donc un tournant…

Le problème, maintenant, c’est le fond et la forme. Sur le fond, nous sommes certains que les réformes annoncées par François Hollande en 2012 ne seront pas mises en œuvre. Et même si on pouvait avoir des points d’accord, ou de compromis, sur la baisse de la dette ou l’allégement des cotisations payées par les entreprises, si on pouvait accepter des mesures d’offre – dans la mesure où elles étaient accompagnées de contreparties et de mesures de soutien de la demande –, on considère que ce gouvernement fait une erreur macroéconomique. La politique de l’offre ne fait que relancer la compétition entre les États européens, en tirant tout le monde vers le bas. Par ailleurs, on ne voit toujours rien venir sur la nécessaire réorientation européenne promise par le Président. Plus globalement, se pose aussi la question de la pertinence de ce logiciel : peut-on vraiment penser qu’on va renouer avec une croissance à 4 % par an ? Il faut des mesures d’investissement massives, mais aussi très volontaristes, vers la transition énergétique, revoir le mode de calcul de notre PIB et inventer de nouveaux indicateurs.

Peut-on considérer que votre stratégie d’influencer de l’intérieur la ligne du gouvernement est un échec ?

En tout cas, la tentative de l’influencer de l’extérieur a été pire. L’échec de Jean-Luc Mélenchon est absolu : il n’y a qu’à voir l’état du Parti de gauche aujourd’hui. La sortie des Verts du gouvernement n’a pas eu davantage d’influence sur la ligne gouvernementale, puisqu’il y a au contraire une radicalisation avec Valls. Je pense qu’aujourd’hui le débat n’est plus d’être à l’intérieur ou à l’extérieur. Je crois qu’il faut être un peu à tous les endroits, et marcher ensemble.

Comment comptez-vous faire ?

Il va bien falloir que le PCF et les Verts nous disent s’ils sont d’accord pour participer à une stratégie d’union de la gauche et des écologistes, seule à même de donner un semblant d’espoir à une volonté de transformation sociale. Aujourd’hui, tout le monde se lance des invitations, c’est très important. J’ai rencontré la semaine dernière Didier Le Reste, un communiste « traditionaliste » : il est prêt à avancer sur la transition écologique. Si, de leur côté, les Verts abordent cette question de manière un peu plus active sur le plan économique, je pense que quelque chose peut être construit, autour d’un axe démocratique, social et écologique. L’été et l’automne doivent contribuer à forger peu à peu des discours communs. Ensuite, seulement, on pourra créer un rapport de force. Non pour détruire Hollande et Valls, mais pour réorienter la politique du gouvernement.

Ensemble ! et le Parti de gauche seraient-ils bienvenus dans cette union ?

Oui, bien sûr, il faut discuter avec tous. Et recommencer à discuter avec Mélenchon. Mais c’est une question d’attitude : au Parlement européen, Mélenchon ne veut même pas discuter avec Édouard Martin ! Mais on ne sera pas sectaires, ni fermés. Cette alliance est une longue marche. Nous verrons par exemple au moment des régionales si nous sommes capables de faire des alliances Verts-PCF-PS pour battre la droite.

Comment les frondeurs ont-ils vécu cette année, où toutes leurs prises de position ont été violemment réprimées par le PS ? Sont-ils lassés, fatigués ?

Le problème, c’est que l’on est dans l’incapacité d’avoir une discussion avec le reste du PS ! C’était déjà impossible de discuter avec Jean-Marc Ayrault. J’ai sincèrement cru que l’arrivée de Manuel Valls pouvait être l’occasion de renouer. Mais c’est pareil : dès qu’on demande un temps d’échange, c’est niet sur toute la ligne. Je crois que Valls et Hollande pensent qu’ils vont sauver la France tout seuls, qu’un dépassement gauche/droite va se produire… Mais cela ne marche pas, surtout quand on ne peut même pas parler des solutions ! Ce qui m’a le plus marqué, c’est la manière dont on a caricaturé les frondeurs, en disant qu’ils seraient des gauchistes ou pas vraiment socialistes, alors même que leurs propositions étaient les plus travaillées. J’insiste sur un point : depuis deux ans, sur la question des 50 milliards d’allégements du pacte de responsabilité, je n’ai eu aucune réponse crédible à mes questions. Ni dans les bureaux nationaux, ni au séminaire PS/gouvernement. De leur côté, les frondeurs n’ont pas arrêté de poser la question à l’Assemblée nationale, au sein du groupe socialiste. À chaque fois, on nous a répondu par la discipline. Sur le fond, la stratégie économique, pas de réponse. Nous, les « frondeurs », nous avions bien compris que Hollande ne serait pas Che Guevara. Bon gré mal gré, nous étions prêts à rester dans les clous du hollandisme. Mais ce sont ces « hollandistes », ceux-là mêmes qui tentent de nous délégitimer, qui se sont assis sur les promesses de campagne de Hollande ! Les vrais frondeurs, ce sont eux !

Dès lors, quel avenir pour le PS ?

Il va y avoir un congrès, à la rentrée ou au printemps prochain. Va-t-on pouvoir enfin y discuter entre nous de ce que je viens d’évoquer ? Ou le débat sera-t-il travesti par ceux qui réclameront l’unité à tout prix en dépolitisant les échanges ? S’il n’y a pas de véritable discussion de fond, il est certain que l’unité du PS sera mise en péril.

Sur le fond, il existe une fracture entre les tenants d’une ligne « blairiste » et les autres…

Au moins, Tony Blair avait une vision de la société et du monde ! Avec Hollande et Valls, on assiste à un blairisme honteux, dont on ne peut pas parler. Moi, je préférerais avoir en face de moi une ligne blairiste assumée. Même si je suis contre, le blairisme avait une certaine puissance intellectuelle. Là, il n’y a rien. À part du radical-socialisme, mélange de pragmatisme et d’idéologie non assumée. Aujourd’hui, Cambadélis veut lancer un grand débat sur l’identité des socialistes, et il a raison. Le problème, c’est qu’on ne peut pas déconnecter ce débat de ce qui se passe au gouvernement.

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