Il était une fois le petit écran

Le Musée des arts et métiers, à Paris, présente une saga de la télévision. Soit quatre-vingts années de technologies et de programmes qui font partie de la mémoire collective.

Jean-Claude Renard  • 24 juillet 2014 abonné·es
Il était une fois le petit écran
© Photo Daniel Fallot / INA

Ça démarre timidement. Avec un écran en noir et blanc de 180 lignes, créé au tout début des années 1930 par l’ingénieur René Barthélémy, où les visages sont difficilement visibles (aujourd’hui, l’écran compte 33 millions de pixels). Destinée à prendre d’emblée sa place au salon, la télé est alors insérée dans un dispositif imposant, un meuble de style Art déco équipé d’un tube cathodique. En avril 1935, un studio est aménagé dans les locaux du ministère des PTT, rue de Grenelle. Une première émission publique sur la chaîne Radio-PTT Vision est alors lancée par le ministre Georges Mandel et René Barthélémy. En novembre, on installe un émetteur sur la tour Eiffel. Le mois suivant, la comédienne Suzy Wincker, première speakerine, présente les artistes qui remplissent les studios de Grenelle. En 1937, c’est le premier reportage en direct, depuis un studio expérimental, au sein de l’Exposition internationale de Paris. En 1939, on relève 200 à 300 récepteurs individuels privés. Sous l’Occupation, un service de la télévision parisienne loge rue Cognacq-Jay. En 1946, tombe le premier bulletin météorologique. La télé émet alors chaque jour de 16 h 30 à 17 h 30, et en soirée le mardi et le vendredi.

1948 : première retransmission de l’arrivée du Tour de France, en direct du Parc des Princes. Le 24 décembre, c’est la première messe télévisée. En mai 1949, Jacqueline Joubert est recrutée sur concours pour la RTF. On instaure une redevance télévisuelle. Pierre Sabbagh lance un journal télé. Il faudra attendre quatre ans pour que les journalistes apparaissent à l’écran. L’année suivante, on compte 3 794 récepteurs. On crée le « Club du jeudi », un programme pour enfants. En 1952, Frédéric Rossif inaugure « La vie des animaux ». C’est aussi l’heure de « 36 chandelles », animée par Jean Nohain. Puis de « Lectures pour tous », présentée par Pierre Dumayet, et de « La séquence du spectateur », par Claude Mionnet. En 1954, « Face à l’opinion » est la première émission politique. Dans « La boîte à sel », émission satirique, s’agitent Jacques Grello et Robert Rocca. Claude Darget s’impose au JT. Successivement, le général de Gaulle fait ses premières interviews (en juin 1958), plutôt maladroit devant la caméra, lisant ses fiches, cherchant ses lunettes ; Raymond Marcillac imagine le service des sports de la RTF ; « Cinq colonnes à la une » ouvre son premier numéro le 9 janvier 1959 ; le « carré blanc » apparaît en 1961 ; deux ans plus tard, Alain Peyrefitte présente une nouvelle formule du journal télévisé, à sa pogne… Et l’histoire de la télévision de se poursuivre. Dans l’immédiat après-guerre, Raymond Millet réalisait un documentaire conçu par René Barjavel. Alors que l’Hexagone ne compte que quelques centaines de récepteurs, le film imagine les prochains usages et le développement du petit écran : la mobilité, la miniaturisation, le rôle dominant de l’image en politique, l’omniprésence des écrans… C’est peu dire que Barjavel était visionnaire, sachant combien la télévision a migré vers d’autres supports, gagné les ordinateurs, les tablettes et les téléphones portables, jusqu’à s’affranchir des programmes.

C’est cette évolution que raconte l’exposition présentée au Musée des arts et métiers, à Paris, « Culture TV, saga de la télévision française ». Soit huit décennies de petit écran, d’évolutions techniques et culturelles recensées à travers ses objets et ses programmes. Une déclinaison extrêmement dense, riche en documents, riche en images (forcément), avec nombre d’extraits, visibles sur différents écrans, d’une thématique à l’autre : fiction, programme jeunesse, divertissement, sport, humour, international, JT, magazine d’informations et société (thématique dans laquelle figure un volet consacré aux conflits sociaux, avec des images de la grève des mineurs en 1963, Mai 68 ou les manifs féministes de 1971).

Une déclinaison qui appelle tout naturellement une certaine nostalgie devant cette masse d’images, marquant plus ou moins la télévision mais aussi la mémoire collective, si l’on songe à « Cinq colonnes à la une » ou à « Droit de réponse », aux multiples génériques ouvrant l’antenne ou les JT, sonnant comme autant de piqûres de rappel (tels ces petits bonshommes rondouillards volant dans le ciel, imaginés par le dessinateur Folon). Une masse d’images disant encore notre rapport au petit écran, entretenant le souvenir, de l’assassinat de Kennedy au mur de Berlin, de cet homme fluet, à Pékin, faisant face à un char, place Tian’anmen, aux coulées de boue sur Fukushima, de la mort du petit Mohammed al-Durah aux tours jumelles de New York. Exposition pédagogique, documentée s’il en est, mais à laquelle il manquerait un volet critique au regard de l’évolution de la télévision. Cette évolution qui a vu s’imposer la tyrannie des audiences avec l’avènement des chaînes commerciales, les béances de la télé-réalité, la spectacularisation jusque dans les émissions politiques, et le divertissement tous azimuts l’emporter sur la culture et l’information. Les bêtisiers en marronniers de fin d’année en constituent un parfait exemple.

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