La société où rien ne coûte

Jeremy Rifkin vend de la croissance verte sans limites.

Jean Gadrey  • 9 octobre 2014 abonné·es

Trois ans après la Troisième Révolution industrielle, Jeremy Rifkin publie la Nouvelle Société du coût marginal zéro. En fait, ce sont toujours les mêmes contes de fées. Cela mérite-t-il une chronique dans Politis  ? Oui si l’on tient compte de la présence de ce gourou dans les grands médias, de sa capacité de séduction à gauche et de son influence sur certains responsables politiques. L’avenir de la production dans la société d’abondance qu’entrevoit Rifkin reposerait d’un côté sur des robots partout, y compris à l’hôpital, et de l’autre sur un  « Internet des objets »  : des imprimantes 3D permettant à chacun de produire à domicile ou dans de micro-unités, à des coûts tendant vers zéro, la plupart des objets de la vie quotidienne, jusqu’à des « voitures imprimées », moyennant divers matériaux de base, plastiques souvent, mais aussi « papier recyclé, plastique recyclé, métaux recyclés… ». Cet Internet des objets ** s’appuierait sur un Internet de l’énergie, où « des centaines de millions de personnes produiront leur propre énergie verte à domicile » et la partageront, avec l’hydrogène comme moyen de stockage.

Une première hypothèse conditionne le tout : les énergies (renouvelables) vont « devenir pratiquement gratuites   ». Elle est insoutenable. L’énergie restera chère : certes, le soleil et le vent sont gratuits, mais les panneaux photovoltaïques, les éoliennes, les dispositifs de stockage, les réseaux et toutes les autres techniques exigent des matériaux, des métaux et des terres rares qui seront chers, et même de plus en plus. La seconde hypothèse, celle du coût décroissant des matériaux de base, est indéfendable pour les mêmes raisons. Ces impasses ruinent le modèle techno-économique hors sol de Jeremy Rifkin, aussi bien pour sa production 3D que pour sa vision de robots prenant la place de l’essentiel du travail humain. L’auteur, présenté comme écolo, ignore les bilans matière et les « pics » matériels (minerais, terres arables, forêts, eau, etc.) qui commencent à faire sentir leurs effets.

Presque tous les mythes reposent sur des bouts de vérité et, dans le cas présent, des imprimantes 3D existent bel et bien et vont se diffuser. Mais en faire une grande base de la production du futur est un conte de fées high-tech, au demeurant pas du tout féerique sur le plan écologique, vu la débauche d’énergie et de matières que sa généralisation impliquerait.

Jeremy Rifkin séduit à gauche en insistant sur le rôle des « communs », le dépassement de la propriété et du capitalisme, le partage ou l’économie collaborative. Mais tout cela est déduit d’un modèle techno-économique ahurissant. N’y a-t-il pas d’autres voies, celles d’une société post-croissance non moins solidaire, non moins axée sur les biens communs, qui émerge dans le livre Un million de révolutions tranquilles de Bénédicte Manier (éd. Les liens qui libèrent), dans les villages Alternatiba et ailleurs, sans délire high-tech et productiviste ? Rifkin vend de la croissance verte et de l’abondance matérielle sans limites, à l’opposé de la prospérité sans croissance.

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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