Chapiteau du temps présent

Depuis dix ans, Circa Tsuica fait du cirque en fanfare. Dans Maintenant ou jamais, les onze artistes de la compagnie mettent leur joyeux mélange de disciplines au service d’une réflexion sur l’utopie.

Anaïs Heluin  • 20 novembre 2014 abonné·es
Chapiteau du temps présent
© **Maintenant ou Jamais** , Circa Tsuica, du 28 novembre au 19 décembre sur l’Île-aux-machines à Nantes, www.legrandt.fr Photo : IAN GRANDJEAN

Pour Circa Tsuica, l’utopie est un mode de vie. Un quotidien planté au cœur de Saint-Agil, petite commune du Loir-et-Cher qui accueille depuis dix ans la vingtaine d’artistes du Cheptel Aleïkoum, issus pour la plupart de la quinzième promotion du Centre national des arts du cirque de Châlons-en-Champagne. Née dans ce collectif artistique, la fanfare circassienne Circa Tsuica développe sa subtile combinaison de disciplines sous un chapiteau installé en plein champ.

Autour, 270 habitants participent à l’aventure de la compagnie. Avec l’ancrage des artistes dans un paysage rural, l’utilisation par la compagnie d’instruments et de techniques populaires (vélo et trapèze, surtout) rend concrètes et sincères ses réflexions sur le vivre-ensemble. Circa Tsuica échappe alors à la superficialité de bien des spectacles de cirque consacrés au même thème. Et ils sont nombreux. Pour preuve, la dernière édition du festival Circa à Auch, fin octobre, où la fanfare a présenté Maintenant ou jamais. Au programme de cette 27e édition consacrée au cirque actuel, figuraient deux autres pièces promettant une interrogation du tissu social et des manières de le transformer ou de le réinventer : Il n’est pas encore minuit, de la compagnie XY, et Un dernier pour la route, du collectif AOC. L’une avec les pyramides humaines déjà déployées en 2009 dans le Grand C, qui a fait connaître la compagnie ; l’autre à travers l’utilisation confuse de nombreux agrès (trampoline, mât chinois, fil de fer…). Les deux compagnies n’ont fait qu’effleurer le sujet qu’elles s’étaient proposé d’explorer, la question sociale n’étant brandie que comme un prétexte à déployer des formes spectaculaires et non comme un point de départ d’une véritable recherche artistique. Comme si le concept, au demeurant assez vague, du « vivre-ensemble » permettait aux artistes de s’arranger avec leur mauvaise conscience de faire dans la performance.

Les membres de Circa Tsuica, eux, ne voient pas pourquoi le nouveau cirque devrait renoncer au plaisir d’en mettre plein les yeux. Dans Maintenant ou jamais comme dans Opus 2 (2006) et Fanfarerie nationale (2009), ses premières créations, la fanfare-cirque assume son côté populaire et bon enfant. Elle cultive sa gouaille savoureuse à grands coups de tambours et de caisses, de sons de trompettes, de trombones et de tout ce qui fait une fanfare digne de ce nom. Le tout en mouvement, car, chez Circa Tsuica, chaque note est accompagnée d’une posture, et chaque musique d’une chorégraphie où chacun des onze artistes semble trouver sa place par hasard. Dans l’inspiration du moment. Contrairement à XY et à AOC, pour Circa Tsuica, l’utopie ne devient pensée qu’une fois validée par la vie en général, et par la fête en particulier.

Comme toute fête, celle que cultive la fanfare-cirque est une affaire d’ici et tout de suite. De maintenant ou jamais. Les artistes viennent avec leur histoire et leur personnage, mais se laissent emporter par le rire et la danse. Et cela plus encore dans leur nouveau spectacle que dans le précédent, qui traitait de la résurgence des nationalismes à partir de souvenirs hérités du siècle dernier. Avec Fanfarerie nationale, les acrobates et musiciens ont évacué la question du passé ; ils peuvent se plonger tout entiers dans le présent et dans l’éphémère, sans pour autant perdre de vue la teneur politique de leur propos. Maintenant ou jamais est le premier spectacle en chapiteau de la compagnie, qui jouait auparavant en salle ou en extérieur. Symbole de l’univers circassien, ce lieu prépare à toutes les évasions et à tous les possibles. Le banquet qui accueille les spectateurs au début du spectacle ouvre un espace de partage joyeux clairement détaché du quotidien. Un espace utopique où chacun peut faire des crêpes, tremper des fruits dans des bols remplis de ganache au chocolat et se promener sur la piste en écoutant la musique qui prend place peu à peu. Tout au long du concert-spectacle, les artistes font participer la salle à leurs numéros. Le temps d’une danse ou d’un tour de vélo, Circa Tsuica parvient à rendre crédible son utopie.

Culture
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