Laurent Baumel : « J’essaie de sauver 
le PS plutôt que de le fuir »

Député d’Indre-et-Loire, Laurent Baumel revient sur la crise politique engendrée par la loi Macron et sur la stratégie des frondeurs.

Michel Soudais  et  Pauline Graulle  • 26 février 2015 abonné·es
Laurent Baumel : « J’essaie de sauver 
le PS plutôt que de le fuir »
© Photo : AFP PHOTO / XAVIER LEOTY

Il n’est pas le plus gauchiste des frondeurs, mais cela n’empêche pas Laurent Baumel d’en être l’un des principaux porte-parole. Élu pour la première fois député (d’Indre-et-Loire) en 2012, cet ancien strauss-kahnien est l’un des trente et un députés à s’être abstenus, en septembre, sur le vote de confiance au gouvernement Valls 2.


L’utilisation du 49-3 par le gouvernement Valls pour faire passer la loi Macron a montré, s’il en était encore besoin, son inflexibilité. Cela ne signe-t-il pas l’échec de votre stratégie de vouloir influencer de l’intérieur la politique menée ?


Laurent Baumel : En 2014, lorsque nous nous sommes fixé l’abstention comme forme d’expression de notre désaccord sur les textes budgétaires ou la confiance, certains ironisaient sur notre « couteau sans lame ». Nous sommes sortis de notre inoffensivité en décidant de voter contre la loi Macron, obligeant ainsi le gouvernement à dégainer le 49-3, qui a un coût politique pour ceux qui l’emploient. Celui-ci n’étant pas réutilisable dans une même session parlementaire, le gouvernement va par exemple rechigner à mettre sur la table le projet de loi Rebsamen sur le dialogue social. Car, s’il est d’inspiration libérale, il ne sera pas voté.


Pour autant, vous n’avez pas été jusqu’au bout de votre démarche,
en ne votant pas la motion de censure qui aurait forcé le Président à changer de gouvernement. Pourquoi ? 


Notre stratégie, et je l’assume, n’est pas de renverser le gouvernement. D’autant que François Hollande ne se serait pas contenté de changer de gouvernement : même s’il n’y est théoriquement pas obligé, il aurait choisi de dissoudre ­l’Assemblée, et de nouvelles élections auraient sans aucun doute conduit à une majorité de droite. Or, nous, les frondeurs, voulons toujours conserver l’espérance d’obtenir une rectification et donc une réussite de ce quinquennat de gauche. D’ailleurs, si nous n’étions pas là pour apporter de la contradiction au sein du groupe socialiste, Manuel Valls et François Hollande auraient les mains totalement libres.


Aujourd’hui, vous semblez moins soutenus dans l’opinion publique
qu’il y a quelque temps… 


Il est vrai que notre action a déchaîné la violence des éditorialistes libéraux et entraîné la crainte d’une division qui influe sur la perception de l’opinion. Mais, selon moi, ce qui s’est passé mardi est plutôt le signe d’une résurrection des frondeurs. Nous avons voulu acter le fait qu’il n’y a pas de majorité claire à gauche pour la poursuite de cette orientation politique. Après les attentats de janvier, un mouvement général d’auto-­persuasion orchestré par l’exécutif et ses soutiens laissait penser qu’il ne pouvait plus y avoir de débat politique. Certains socialistes ont fini par croire à leur propre story­telling, c’est pourquoi ils ont été surpris par cet épisode de la loi Macron. 


N’empêche, pour l’électeur « lambda », le fait de ne pas aller jusqu’à la censure permet à cette loi que vous critiquez de passer quand même…


L’électeur socialiste ou sympathisant ne nous demande pas non plus de faire tomber le gouvernement ! Les choses sont plus complexes. Beaucoup de gens partagent notre analyse du revirement politique et programmatique du quinquennat, car ils observent une dérive par rapport aux valeurs de la gauche et aux promesses faites pendant la campagne de 2012. Pour autant, ils ne veulent pas que nous ouvrions la voie à un retour de la droite au pouvoir. Parce qu’aujourd’hui, en France, on ne peut pas dire qu’il existe vraiment d’alternative de type Syriza.


N’avez-vous pas manqué l’occasion de rendre cette alternative visible,
en ne déposant pas de motion de censure commune avec le Front de gauche et les écologistes ?


C’est une thèse qui peut se défendre, mais ce n’est pas la mienne. Je continue de penser qu’à l’étape actuelle il reste possible de mener le combat de la réorientation à l’intérieur de la famille socialiste. Cette analyse n’est pas définitive, des circonstances me feront peut-être changer d’avis plus tard. Pour le moment, ce n’est pas mon souhait.


Pourtant, dans votre livre [^2], vous notez que, s’agissant de votre proposition de loi sur la CSG ou de votre action pour empêcher le CICE, vous n’avez pas été entendus…


Parce que nous n’avions pas encore élevé le rapport de force, ce que nous venons de faire. La conjonction du problème parlementaire, d’une situation sociale complexe, d’absence de résultats économiques et peut-être d’une situation électorale difficile va tout de même obliger François Hollande à réfléchir à la manière dont il souhaite terminer son quinquennat ! C’est une question d’intérêts. Autant Manuel Valls se nourrit de la confrontation avec nous, laquelle sert une stratégie d’affirmation de son autorité personnelle au service d’une politique social-libérale, autant François Hollande n’est pas, selon moi, scotché à cette ligne libérale — qu’il n’a d’ailleurs pas défendue pendant sa campagne de 2012.
Je pense qu’il a changé de ligne sous l’influence des forces économiques, de la technocratie d’État qui en est le relais, des contraintes bruxelloises telles qu’il les a intériorisées, parce que le régime de la Ve République ne mettait rien en face jusqu’aux frondeurs, et puis, il ne faut pas l’oublier, parce qu’il n’y a pas eu de mouvement social majeur. Or, cette dynamique n’est pas gravée dans le marbre. Notre pari stratégique est que la fronde parlementaire, plus nette en 2015 qu’en 2014, pourra influencer la ligne.
Par ailleurs, il y a aussi une composante non rationnelle, affective pourrait-on dire, dans ce choix : je me sens socialiste et je tiens à l’organisation dans laquelle je suis. C’est pourquoi j’essaie de la sauver plutôt que de la fuir.

Est-il tenable de rester dans une organisation où vous êtes minoritaires, au moins au Parlement, avec des « camarades » comme Christophe Caresche qui vous désignent à longueur de temps comme les traîtres à supprimer ?


Ce n’est pas facile, mais j’ai une vision historique du Parti socialiste : mon engagement est lié à des raisons qui transcendent Christophe Caresche !
À titre personnel, je suis déjà sorti du parti une première fois avec Jean-Pierre Chevènement, au moment du traité de Maastricht. J’y suis revenu en 1994, car cette aventure a montré, pour moi, la difficulté de construire une alternative viable au PS et à fédérer des forces hétérogènes. Par ailleurs, il y a encore au PS des milliers de militants qui portent de très belles valeurs et que je ne veux pas abandonner.


Justement, dans quel état d’esprit abordez-vous le congrès ? 


Contrairement à ce que pensent beaucoup de médias, ce qui s’est passé sur la loi Macron n’était pas une stratégie liée au congrès. Simplement notre choix d’utiliser, en tant que parlementaires, le droit de vote que nous donne la Constitution pour manifester notre résistance à la mise en œuvre d’une politique social-libérale.
L’objectif est de constituer un bloc donnant aux militants la possibilité d’exprimer eux aussi la nécessité d’une alternative à la ligne actuelle. Il est trop tôt pour connaître la configuration exacte de ce congrès, mais nous essaierons évidemment d’y jouer un rôle.

[^2]: Quand le Parlement s’éveillera ,
Le Bord de l’eau, 2015.

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