Les dogmes tombent

La « flexibilité du pacte de stabilité » n’est désormais plus taboue.

Liêm Hoang-Ngoc  • 19 février 2015 abonné·es

La déflation est une situation où la demande est inférieure à l’offre et pousse les prix à la baisse. Cette menace, conjuguée à l’incapacité des politiques imposées par la troïka à contenir l’emballement de la dette, met à mal tous les dogmes jusqu’alors défendus par la pensée unique.

Premièrement, le traitement de la déflation requiert une relance de la demande. La BCE elle-même tente de stimuler celle-ci par une politique d’expansion monétaire qui a pour but de relancer le crédit aux entreprises pour qu’elles investissent, et aux ménages pour qu’ils consomment. Malheureusement, l’atonie des commandes aux entreprises et la crise du pouvoir d’achat des ménages ne les poussent pas à s’endetter pour dépenser. Cette situation n’incite pas plus les banques à leur prêter. Dès lors, les liquidités injectées iront une nouvelle fois gonfler les bulles financières.

Deuxièmement, le dogme de l’euro fort tombe. Le rachat massif de titres par la BCE conduit à une baisse relative de leurs taux par rapport aux taux des titres américains. Avec pour effet de provoquer un afflux de capitaux Outre-Atlantique et une dévaluation de l’euro par rapport au dollar. La BCE vient de passer outre les textes européens qui confient au Conseil le soin de décider de la politique de change de l’Union, et ce sans que l’Allemagne ne bronche. La baisse de l’euro améliorera la compétitivité-prix des exportations extra-communautaires et pénalisera les importations en provenance des pays situés en zone dollar. Comme les prix du pétrole baissent, le pouvoir d’achat ne se détériorera pas. Bien au contraire, il sera dopé par le contre-choc pétrolier, bénéfique à la consommation. Il est désormais piquant d’entendre les éditorialistes officiels vanter les prévisions des instituts de conjoncture selon lesquelles la baisse de l’euro et la hausse du revenu des ménages amélioreraient les perspectives pour 2015. Des instituts qui ont pourtant longtemps vanté le franc et l’euro forts et martelé que la relance de la consommation était de l’eau versée dans le sable !

Troisièmement, l’incapacité récurrente des mesures non-conventionnelles de la BCE à pénétrer l’économie réelle réhabilite la pertinence des politiques budgétaires. La « flexibilité du pacte de stabilité » n’est désormais plus taboue, ni l’exclusion de l’investissement du calcul des déficits. Malheureusement, les textes européens en empêchent le déploiement, le plan Junker est une vaste farce et l’UE n’est pas une union de transfert dotée d’un véritable budget fédéral.

Quatrièmement, l’acceptation ou le refus du plan B – porté par Syriza –seront décisifs pour l’avenir de l’euro. En l’absence d’un tel budget, les États ont prêté et bricolé des mécanismes intergouvernementaux de solidarité financière et détiennent, avec le FMI et la BCE, la majeure partie de la dette grecque. Ils savent qu’une nouvelle restructuration est devenue inévitable pour relancer l’économie et éviter l’éclatement de la zone euro. Contrairement à une rumeur colportée pour effrayer le contribuable, une restructuration ne lui coûterait pratiquement rien, car les 11 milliards de prêts bilatéraux octroyés par la France à la Grèce ont déjà été empruntés sur les marchés et parce que les intérêts versés par la Grèce aux États font déjà l’objet d’un moratoire. En revanche, la France devra lever 30 milliards supplémentaires (les garanties d’État qu’elle s’est engagée à verser dans le cadre du Fonds européen de stabilité financière) si la Grèce faisait défaut et sortait de l’euro. Elle gagnerait donc à appuyer Syriza…

Chaque semaine, nous donnons la parole à des économistes hétérodoxes dont nous partageons les constats… et les combats. Parce que, croyez-le ou non, d’autres politiques économiques sont possibles.

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