Handke et ses fantômes

La nouvelle pièce-événement du poète autrichien revient sur les douleurs de son passé.

Gilles Costaz  • 19 mars 2015 abonné·es

La « tempête » que Peter Handke libère dans sa dernière pièce est celle de sa vie et celle d’une grande partie de l’Europe. D’ailleurs, il se place au premier plan du drame : un écrivain, appelé « Moi », est assis dans un verger, appelle sa mère, puis ses grands-parents. Vite, toute une partie de la famille est là. Mais ce sont des ancêtres, la parentèle que la mort a emportée, avec qui l’auteur veut parler pour retracer ce qui ne s’est pas effacé en lui et pour témoigner d’une injustice de l’histoire. Car, en même temps que les liens profonds d’une tribu et un art de vivre disparu, Handke veut rappeler les offenses faites à sa province natale, la Carinthie, province de l’Autriche à majorité slovène. Selon le poète, les habitants de Carinthie ont été les seuls vrais résistants à la domination nazie. En récompense, ils ont été humiliés par les troupes anglaises, privés de leur langue et de leur patrimoine culturel par l’Europe réorganisée après la guerre.

C’est une longue conversation-méditation qu’entreprend le personnage principal, entouré ou laissé tour à tour par les fantômes de son passé. André Françon a su trouver la forme théâtrale de ce chant à la douleur douce et terrible : tout se passe sur un fragment de terre, un paradis perdu que l’histoire traverse et prive de sa pureté. Laurent Stocker incarne le double de Handke dans une belle tendresse méditative, tandis que de merveilleux partenaires, Wladimir Yordanoff, Dominique Reymond, Gilles Privat, Nada Strancar, Stanislas Stanic, Dominique Valadié, Pierre-Félix Gravière, sont les figures contradictoires, généreuses et querelleuses, d’un lent manège aux splendides hantises.

Théâtre
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