Opportunité historique pour les Indignés à Barcelone

Dans l’élan de Podemos, la liste de rassemblement de la gauche et des mouvements sociaux est donnée favorite des municipales, dimanche, dans la capitale de la Catalogne.

Erwan Manac'h  • 22 mai 2015
Partager :
Opportunité historique pour les Indignés à Barcelone
© Photo de Une : DAVID RAMOS / GETTY IMAGES EUROPE / GETTY IMAGES/AFP

« Qu’est-ce que nous sommes en train de faire ? Est-ce une page d’histoire qui s’écrit devant nos yeux ? Je n’en sais rien ! » Œil brillant et sourire euphorique, Raimundo Viejo ne touche plus terre.

À quelques heures de la fin officielle de la campagne, plus personne n’est capable de dire ce qui est en train de se passer dans la capitale catalane. Une récente étude place « Barcelona en comùn » (Barcelone en commun), la liste de rassemblement de la gauche et des mouvements sociaux, en tête avec 26 % des voix, 7 points devant la coalition de droite sortante (CiU). En position donc d’offrir à la gauche citoyenne espagnole une victoire historique dans une ville de 1,4 million d’habitants.

Mais d’autres études donnent des écarts plus serrés et 29 % des sondés se déclarent indécis pour dimanche. Les 47 % d’abstention au précédent scrutin, en 2011, accroissent encore l’incertitude.

Le vertige empêche de toute façon les militants de faire des calculs. « Depuis 2011, nous sommes en permanence dépassés par les événements » , confesse d’ailleurs Raimundo Viejo, politologue et cadre de Podémos, au long parcours militant d’altermondialiste, 6e sur la liste.

Un pur produit du terreau barcelonais

Dehors dans un parc de Clot, quartier en pleine gentrification, les 6 premiers noms de la liste municipale sont venus répondre ce jeudi aux questions des curieux. Les codes sont ceux du mouvement des Indignés et de Podémos : horizontalité, assemblées citoyennes quartier par quartier et actions civiles. Ils sont mêlés ici au rouge de la gauche radicale institutionnelle, qui ne souffre pas du discrédit qu’elle éprouve au niveau national.

Affiche de campagne distribuée aux militants. - Javier Mariscal - Barcelona en comun

Le troisième pilier de la candidature commune à Barcelone est sa tête de liste. Ada Colau, 41 ans, est porte-parole du mouvement contre les expropriations (dues aux emprunts hypothécaires à taux variables). Elle était une des figures du mouvement du 15-M, sur les places espagnoles au printemps en 2011. Mais son parcours militant remonte aux précédentes vagues de mobilisation, dont Barcelone a toujours été un foyer. Celle du mouvement altermondialiste et des grandes manifestations contre la banque mondiale en 2001, dont elle était porte-parole.

Elle a lancé il y a neuf mois le processus participatif qui a abouti à la construction d’un programme et d’un « code éthique » signé par l’ensemble des candidats (salaires plafonnés à 2 200 euros, abandons des avantages, etc.). Son mouvement, Guanyem Barcelona (gagner Barcelone) a été rejoint par Podemos, le parti d’union des écologistes et des communistes (ICV-EUiA) et le Procés Constituent (processus constituant), regroupement citoyen mené par la religieuse Teresa Forcades, émanant du mouvement des Indignés.

« Le 15-M est une des appartenances de cette liste de “confluence“. Ce n’est pas la seule. Nous avons des candidats qui sont d’anciens résistants au franquisme. Nous avons un historien marxiste. Nous ne coupons pas avec notre histoire et nos luttes » , raconte Francesc Consuegra, quadragénaire engagé pour sa première campagne, décidé par ‘l’électrochoc’ du printemps 2011.

«Du concret» pour dépasser la question indépendantiste

Dans l’assemblée, à la moyenne d’âge plutôt élevée, chacun est venu avec ses propres convictions. Sur la rhétorique nouvelle incarnée par Pablo Iglesias, qui ne fait pas l’unanimité. Ou sur l’indépendance de la Catalogne, sujet difficile et ô combien conflictuel au sein de la gauche. Si aucun accord n’a été trouvé avec la petite formation de gauche indépendantiste (Izquierda republicana), Barcelona en comùn est parvenu à réunir les différentes sensibilités, en renvoyant – comme l’a fait Pablo Iglesias – la question à un référendum populaire et à «l’autodétermination» des Catalans.

Illustration - Opportunité historique pour les Indignés à Barcelone

Ils ont surtout fait campagne sur « du concret » : le renouveau des pratiques politique, une rupture avec le tourisme de masse qui chasse les pauvres des quartiers centraux, une répartition des richesses pour sortir le tiers des Barcelonais de leur situation de pauvreté.

Après l’élection de dimanche, à la proportionnelle intégrale, un second tour devra avoir lieu au sein du conseil municipal, pour tenter de dégager une majorité par le jeu des alliances. Mais le terrain est miné de toutes parts par la question indépendantiste et par les enjeux nationaux, qui astreignent les familles politiques à ne pas trop se contredire par des accords de gouvernement contre nature. Tout est donc possible dans les trois semaines qui suivent. La loi prévoit qu’en cas d’absence de majorité, le poste de maire revient à la liste arrivée en tête.

Monde
Temps de lecture : 4 minutes
Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

Franco : une récupération aux mille visages
Extrême droite 20 novembre 2025 abonné·es

Franco : une récupération aux mille visages

Quarante ans de dictature franquiste ont imprimé en profondeur la société espagnole. Son empreinte, décryptée par l’historien Stéphane Michonneau, pèse aujourd’hui sur le débat politique, en y insufflant les relents nauséabonds du fascisme. Même si le franquisme est maintenant poursuivi par la loi.
Par Olivier Doubre
« Le franquisme sociologique n’a jamais disparu en Espagne »
Entretien 20 novembre 2025

« Le franquisme sociologique n’a jamais disparu en Espagne »

Secrétaire d’État chargé de la mémoire démocratique, un portefeuille créé en 2020, Fernando Martínez López alerte sur les appétits dictatoriaux du parti d’extrême droite Vox et milite pour la connaissance des luttes en matière de droits fondamentaux.
Par Pablo Castaño
Le fantôme de Franco hante toujours l’Espagne
Monde 20 novembre 2025 abonné·es

Le fantôme de Franco hante toujours l’Espagne

Cinquante ans après la mort du dictateur, l’ancien roi Juan Carlos publie un livre de mémoires qui ravive les polémiques. Alors que le parti d’extrême droite Vox progresse, le pays oscille entre les conquêtes démocratiques d’une société transformée et les persistances d’un héritage franquiste.
Par Pablo Castaño
Face à la Russie, l’Europe de la défense divise la gauche
Analyse 19 novembre 2025 abonné·es

Face à la Russie, l’Europe de la défense divise la gauche

Devant la menace russe, l’instabilité américaine et la montée des tensions géopolitiques, quelle attitude adopter ? Entre pacifisme historique, tentation souverainiste et réorientation stratégique, le PS, les Écologistes, LFI et le PCF peinent à trouver une ligne commune.
Par Denis Sieffert