Mainmise sur la pelouse de Bolloré

La fronde s’amplifie contre l’accaparement des terres agricoles dans plusieurs pays d’Afrique et d’Asie. Des associations françaises interpellaient jeudi le groupe Bolloré. Reportage.

Vanina Delmas  • 5 juin 2015
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Mainmise sur la pelouse de Bolloré
Pour en savoir plus : Et maintenant nos terres, documentaire de Julien Le Net et Benjamin Polle
© Vanina DELMAS

Dans le labyrinthe des tours de la Défense, Emma fait des allers-retours incessants pour retrouver les manifestants égarés. Tous finissent par se réunir autour de la brouette bien garnie, prêts pour leur action du jour : dénoncer les accaparements des terres en Afrique et en Asie par les plantations industrielles de palmiers à huile.

Armés de pelles, de pioches et de râteaux, la vingtaine de personnes se met à creuser la pelouse verte du siège Bolloré pour y planter des bambous et y semer des graines, sous les yeux étonnés des employés. « Ils s’accaparent les terrains des paysans sans leur permission. Aujourd’hui, c’est nous qui prenons leur terre! » , s’écrie Nicolas Rametot, porte-parole du ReAct à l’initiative de la manifestation. Le message est clair et le jour bien choisi : les actionnaires se réunissaient pour leur assemblée générale.

« Le Cameroun aux Camerounais »

Cette action n’est qu’un petit coup de pouce lointain à la Sierra Leone, au Libéria, au Cameroun, à la République démocratique du Congo, à la Côte d’Ivoire, au Cambodge et à l’Indonésie. Car depuis un mois, des paysans, qui ne supportent plus la main mise de la holding luxembourgeoise Socfin, dont Bolloré est l’actionnaire à 39 %, y résistent comme ils peuvent.

Le 23 avril, ils ont occupé au Cameroun l’usine d’une filiale de Socfin et exigeaient qu’on rende leurs terres aux riverains. « Même quand on voyage en Afrique en simple touriste, on tombe sur ces plantations accaparées par des grandes sociétés » , s’insurge Michèle, fidèle militante de l’Association française d’amitié et de solidarité avec les peuples d’Afrique (Afaspa).

« Le Cameroun aux Camerounais, le Congo aux Congolais, la Côte d’Ivoire aux Ivoiriens… » , clament-ils, déterminés à entrer dans l’immeuble sous l’oeil alerte des vigiles. « Ils vont encore appeler la police pour dire qu’on les embête avec nos pelles et nos arrosoirs ! » , ironisent deux militants de la première heure.

Tous espèrent que Vincent Bolloré descendra de sa tour d’ivoire pour les écouter, comme il y a deux ans. Une intervention qui avait donné naissance quelques mois plus tard à une table ronde en présence de trois représentants des communautés locales de riverains lésés par les plantations.

«  Bolloré peut faire bouger les choses , affirme Nicolas Rametot. Il peut forcer Socfin à nous écouter et il peut aussi autoriser la mise en place d’un médiation pour sortir de l’impasse et de la répression » .

« Bolloré a du sang sur les mains »

Après quelques heurts avec la sécurité et les forces de l’ordre, une délégation de cinq personnes ont pu s’entretenir avec Marie-Annick Darmaillac, secrétaire générale adjointe du groupe, Ange Mancini, président du comité éthique et Clara Lemarchand, chargée de mission RSE (Responsabilité sociétale des entreprises), qui s’attendaient visiblement à une réaction des associations suite au mouvement de protestation dans les pays africains.

Le but ? Définir une véritable feuille de route signée par tous les protagonistes et pas seulement sous la pression des violences. Car le groupe Bolloré reporte systématiquement la responsabilité sur la Socfin, déplorent les associations.

En gage de bonne volonté, les cadres de Bolloré ont affirmé être prêts à accepter qu’un expert indépendant étudie la situation et à tout mettre en œuvre pour convaincre la Socfin de participer aux futures négociations.

« Bolloré a du sang sur les mains. Vendez vos parts ou faites le nécessaire pour que les droits des communautés soient respectées » , ont lancé les représentants de la communauté congolaise après avoir raconté la répression que subissent leurs compatriotes sur leurs propres terres.

Mais pour le moment, la seule trace de leur passage reste les bambous qu’ils ont planté et les graines qu’ils ont semé sur une pelouse de la Défense.

Écologie
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