Crowdfunding pour la Grèce : faut-il donner (ou pas) ?

Une campagne de financement participatif pour aider les Grecs à payer leur prochaine tranche de remboursement soulève un engouement international. Utile ou fantasque ?

Pauline Graulle  et  Erwan Manac'h  • 2 juillet 2015
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Crowdfunding pour la Grèce : faut-il donner (ou pas) ?

C’est une bombe lancée en un clic par un jeune Américain vivant à Londres : lundi, Thom Feeney, 29 ans, a ouvert une page de dons sur IndieGogo, une plateforme de financement participatif, pour aider la Grèce à rembourser ses dettes. Avec un argument simple : si 500 millions d’Européens ouvrent leur porte-monnaie, la tranche de crédit sur laquelle la Grèce vient d’entrer en défaut ne coûtera que 3 euros par tête. « Presque le prix d’un demi à Londres » , se réjouit l’initiateur de la campagne. 

La viralité est telle que la page a fait planter, mardi, le site IndieGogo. La somme collectée atteint des records : 82 676 internautes ont donné 1,4 million d’euros en deux jours. La campagne a jusqu’à lundi pour réunir la somme improbable de 1,6 milliard d’euros. 

Qui donne ?

L’élan de solidarité est non seulement gigantesque, mais transnational. Selon les chiffres publiés par l’initiateur de la collecte, la moitié des contributions arrive d’Angleterre, d’Allemagne et de France. Les États-Unis suivent dans l’ordre des plus gros donateurs.


Illustration - Crowdfunding pour la Grèce : faut-il donner (ou pas) ? - [Capture d'écran->https://twitter.com/GreekBailout/status/616492992745074692]

Où va l’argent ?

La campagne « Greek Bailout Fund » est destinée à rembourser une des tranches de remboursement dues par la Grèce au FMI. Mais l’initiateur promet que « l’ensemble de la collecte ira au peuple grec », sans toutefois préciser par quel moyen . Thom Feeney ajoute qu’aucun contact n’est encore établi avec le gouvernement Tsipras. 

Faut-il donner sur IndieGogo ?

Sous des intentions louables, et d’apparence apolitique, se cache une problématique éminemment politique. La somme collectée doit-elle servir au remboursement d’une dette que beaucoup jugent en grande partie illégitime ? « S’il s’agit de récupérer de l’argent pour le donner aux créanciers, je ne soutiens pas l’opération », relève ainsi Thomas Coutrot, d’Attac.

Lire > Éric Toussaint : « La négociation grecque : un enjeu pour toute l’Europe »  

Le porte-parole de l’association altermondialiste rappelle que le total de la dette grecque a atteint un niveau irremboursable. Elle pèse 312 milliards d’euros. Il faudrait donc un financement participatif 234 000 fois plus important pour la rembourser.

Si le compteur tourne vite, il est peu probable que la somme de 1,6 milliard soit réunie. Dans ce cas, tous les donateurs seront remboursés – c’est un des principes du crowdfunding. Il n’y a donc pas grand « risque » à donner sur IndieGogo, puisque si le projet échoue, il ne coûtera rien à personne.

Pourquoi donner si cela ne « sert à rien » ?

À montrer sa solidarité au peuple grec. Plus les dons afflueront, plus les institutions européennes et les gouvernements nationaux devront se rendre à l’évidence que le peuple européen désapprouve leur politique. Dans cette perspective, le don est un acte politique tangible.

La portée symbolique est importante, juge l’écrivain franco-grec Makis Malafekis, actuellement à Athènes :

« C’est un message très émouvant. Ce qui est rendu visible par cette collecte, c’est que le “non” est possible au référendum et que cela intéresse des gens du monde entier. Dans cette crise, nous avons les gens d’un côté et la machine de l’autre. Cette opération est une allégorie des gens qui se réveillent. »

L’écrivain décrit un « problème de narration » dans le paysage grec, sur fond de fort clivage entre les tenants du « oui » et du « non ». « Les médias dominants sont pro “oui“. Donc les petites nouvelles apaisantes et thérapeutiques ne passent que rarement et ne font jamais la Une. Il faut les chercher. » La collecte IndieGogo en est une belle.
Lire > La Grèce au cœur de l’Europe !  

Pourquoi ça cartonne ?

Ce n’est pas la première fois qu’une opération de crowdfunding est lancée pour aider les Grecs. En février, le collectif Interdémos avait lancé une campagne pour aider les associations de terrain (lire ci-dessous), avec bien moins de succès : « seulement » 120 000 euros avaient été collectés sur KisskissBankbank.

Cinq mois plus tard, l’engouement pour l’opération d’IndieGogo est surprenant… mais il s’explique. D’abord, l’objet de l’appel au don est apolitique et relativement consensuel : les « pro-FMI » qui considèrent que la Grèce doit rembourser sa dette y trouveront leur compte – après tout, il ne s’agit que d’aider les Grecs à payer –, tout comme ceux qui considèrent qu’elle n’a pas à rembourser et qui jugent que d’autres peuples, plus riches, peuvent bien le faire à sa place…

Autre clé du succès : « l’effet référendum », qui braque les projecteurs médiatiques sur la Grèce jusqu’à au moins lundi, date d’expiration du « compte à rebours » de l’opération de crowdfunding. Tout cela crée un effet de suspens qui pousse au passage à l’acte. Par ailleurs, l’image du jeune Londonien appelant de son salon à sauver la Grèce suscite une forte identification des donateurs – « si lui le fait, pourquoi pas moi ? » –, et donc une importante mobilisation virale. Enfin, on ne peut pas exclure que l’impossibilité même de la collecte – puisque les dons seront, selon toute vraisemblance, remboursés – joue en sa faveur : cela ne coûte littéralement rien de donner ! 

Manifestation pour le "non", le 1er juillet à Athènes. - LOUISA GOULIAMAKI / AFP

Et si vous ne voulez pas donner sur IndieGogo… Où donner ?

Vous voulez aider la Grèce, mais n’adhérez pas au projet peu crédible d’IndieGogo ? Il vous reste plusieurs possibilités.

-Envoyer un chèque à Médecins du Monde (MDM), qui mène des actions de terrain sur place, en spécifiant clairement que vous souhaitez affecter votre don à la Grèce (sans autre précision de votre part, votre don « tombera » dans le pot commun que MDM se charge de répartir en fonction de ce que l’ONG considère comme ses priorités). Plus d’infos en cliquant ici.

-Toujours pour le volet « humanitaire », rendez-vous sur le site du collectif Solidarité France-Grèce pour la santé . Créé en 2013 par des Français d’origine grecque désirant lutter contre la crise sociale et sanitaire en Grèce, il a pour objet d’envoyer du matériel médical et pharmaceutique, et de soutenir les dispensaires locaux.

Lire > Petits miracles à l’athénienne

-Vous pouvez aussi faire des dons à Interdémos , un collectif qui a lancé une campagne au début de l’année « non pour rembourser la dette, car sur le fond, cela nous semble très discutable, mais pour soutenir la société civile et citoyenne » , explique Philippe Aigrain, l’un des fondateurs. L’argent collecté par Interdémos est ensuite reversé à Solidarity4all, une structure grecque destinée à aider les initiatives de terrain menées par la société civile : elles concernent la santé, l’éducation (aide aux devoirs…), mais aussi la lutte contre les expulsions locatives ou le soutien aux centres culturels et sociaux. Solidarity4all est financée par une partie des indemnités parlementaires des élus de Syriza, par le fonds social européen – l’Union n’est pas à un paradoxe près ! –, et par des donateurs, souvent des expatriés ou descendants d’expat’, habitant les quatre coins de l’Europe, et même aux États-Unis. Plus d’infos : www.interdemos.net.

Monde
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