Éloge de la soumission

Le Monde se livrerait presque à une gymnastique inspirée de celle qui faisait le charme de la Pravda.

Sébastien Fontenelle  • 22 juillet 2015 abonné·es

1. La semaine dernière, le journal le Monde a publié un billet dans lequel l’inénarrable « éditorialiste » Françoise Fressoz écrivait qu’en Grèce « le principe de réalité » avait « fini par s’imposer » au « leader populiste » Alexis Tsipras [^2] après qu’il avait « cru pouvoir jouer au plus fin avec son référendum anti-austérité ». Puis de suggérer, avec ein petit peu d’insistance : « Peut-être fallait-il en passer par cet épisode  […] pour mettre Syriza au pied du mur et créer les conditions d’une recomposition politique où se joue ni plus ni moins la capacité de la Grèce à maîtriser son destin. »

2. Juste après la publication de ce vibrant éloge de la soumission, Donald Tusk, président du Conseil européen, a répondu aux questions de quelques journalistes méticuleusement trié(e)s – toi oui, toi oui, comment vont tes enfants, toi aussi, toi, le gauchiste, non, tu rentres pas –, parmi lesquel(le) s, évidemment, se trouvaient des gens du Monde.

3. Dans le cours de cet entretien, Donald Tusk a notamment déclaré, in english, et d’après la transcription faite par le Financial Times, qui n’est pas exactement un repaire de communistes farceurs : « I’m really afraid of this ideological or political contagion, not financial contagion, of the greek crisis.  […] It’s something like an economic and ideological illusion that we have a chance to build some alternative to this traditionnal european economic system. »

4. Cette déclaration (où je t’ai gentiment souligné les mots vraiment importants) peut approximativement se traduire comme suit : « Ce que je trouve carrément exaspérant, c’est que des gens vivent encore dans l’illusion économique et idéologique qu’il serait possible de construire une alternative au système. » Elle est donc fort intéressante pour ce qu’elle révèle du tréfonds glaçant de l’âme des oligarchies européennes, et parce qu’elle montre que leur conception de la démocratie – tu signes là et tu fermes ta gueule, puisqu’on vient de t’expliquer que c’est ton seul choix – est parfois si voisine de notre définition à nous du totalitarisme qu’on pourrait presque les confondre.

5. Mais le Monde a fait le choix délibéré de gommer le côté particulièrement râpeux de ces propos, pour les traduire plutôt par : « Parfois, il me semble que certains politiciens et quelques intellectuels en Europe sont prêts à remettre tout en question en Europe, les traités, mais aussi la façon traditionnelle de penser l’Europe, la construction européenne et nos valeurs. » Tout de suite, c’est moins agressif, hein ? Et ça peut, c’est vrai, presque donner l’impression que le Monde est prêt à se livrer, pour mieux protéger le système dont il fait chaque soir la réclame, à ce qui pourrait presque passer pour une gymnastique librement inspirée de celle qui faisait jadis le charme de la Pravda.

  1. Mais ce n’est grâce à Dieu qu’une impression – puisque nous savons que jamais le Monde ne déroge au pointilleux sérieux qui a fait sa réputation de journal de référence.

7. Tout de même : bonnes vacances.

[^2]: « Le Grec », comme l’appelle aussi la Fressoz.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

Temps de lecture : 3 minutes