« Les Voisins », de Michel Vinaver : L’au-delà du fait divers

Marc Paquien propose une très belle mise en scène des Voisins, de Michel Vinaver. Une pièce miniature qui dépasse bien des grands spectacles.

Gilles Costaz  • 16 septembre 2015 abonné·es
« Les Voisins », de Michel Vinaver : L’au-delà du fait divers
Les Voisins , Théâtre de Poche-Montparnasse, Paris VIe. Tél. : 01 45 44 50 21. Le théâtre de Michel Vinaver est édité par l’Arche et Actes-Sud.
© Pascal Gely

Michel Vinaver est considéré à présent comme l’un des tout premiers auteurs d’aujourd’hui, mais l’ex-PDG de Gillette France, qui écrivait à contre-courant du capitalisme qui le faisait vivre, ne s’est pas imposé facilement. Pensez donc ! Un écrivain qui fait du théâtre politique non militant, non engagé ! Car la manière de Vinaver, c’est une apparente neutralité. Il projette la réalité sur scène, réalité sociale, économique et même militaire, reconstruite par lui, mise dans une perspective où l’on ne voit guère de jugement et de prise de parti. Pourtant, c’est tout à fait de gauche, amoureux des petites gens, impitoyable avec les appareils qui broient l’être humain. Il faut lire l’auteur entre les lignes et ne pas considérer Vinaver comme un sociologue mais comme un poète qui, avec la langue du monde d’aujourd’hui, écrit son propre langage. C’est ainsi depuis les Coréens, en 1956, et ce sera de la même farine quand sera créée sa prochaine pièce, très attendue, par Christian Schiaretti, Bettencourt boulevard ou une histoire de France, au TNP de Villeurbanne, en novembre (puis en janvier à La Colline). Dans l’immédiat, le Théâtre de Poche recrée une ancienne pièce, les Voisins, qui n’appartient pas à ses grandes fresques mais à sa veine de tableaux domestiques – bien que l’expression puisse faire penser à un naturalisme aux antipodes de la manière de Vinaver.

Deux familles occupent des maisons voisines, d’autant plus voisines qu’elles disposent de la même terrasse. Il faut bien s’aimer pour partager le même carré de béton et de plein air à longueur d’année ! Ces gens-là s’adorent. Ce sont de petits-bourgeois qui gagnent correctement leur vie. L’un des chefs de famille sait économiser et achète des lingots d’or pour préparer l’avenir. L’autre est plutôt panier percé. Tout à coup, un vol est commis. Les lingots ont disparu, l’appartement du voisin précautionneux a été visité et fracturé. Peu à peu, les soupçons se portent sur le fils du voisin dispendieux. C’est bien embêtant, parce que l’amitié des deux couples va sans doute voler en éclats, et parce que ce fils a une relation amoureuse avec la fille du voisin dévalisé. Les indices sont de plus en plus accablants. Alors, qui a volé ? On ne le saura jamais. Vinaver n’écrit pas du théâtre policier mais reflète la vie des gens sans expliquer ce qui est anecdotique. Il explore l’au-delà du fait divers et des apparences. De l’autre côté du miroir, il y a des vérités multiples et un amour d’autant plus fort qu’il ne s’étale pas. Cette pièce avait été créée avec talent, en 1986, par Alain Françon. La nouvelle mise en scène de Marc Paquien est sans doute encore plus belle. D’une rigueur, d’une précision, d’une formidable avancée tranquille et chaleureuse au-dessus du gouffre d’une énigme qui ne sera pas résolue, mais à propos de laquelle le spectateur est à même de tirer ses propres conclusions.

Paquien exploite les petites dimensions du plateau pour obtenir des relations serrées entre les personnages et une observation microscopique depuis la salle. La partition offerte par les comédiens est de premier ordre : Patrick Catalifo est d’une magnifique complexité rigolarde, Lionel Abelanski sait donner à la banalité une intensité rare, Alice Berger a dans l’expression de la simplicité une véritable originalité, Loïc Mobihan est tout à fait vinavérien, c’est-à-dire évident et en même temps énigmatique. Cette miniature au Poche dépasse de loin pas mal de grands spectacles massifs de la rentrée.

Théâtre
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