Parti socialiste : la stratégie du chaos

À l’approche des régionales, la fragmentation de la gauche inquiète les responsables socialistes. Mais en niant la responsabilité de la politique du gouvernement, ils ne font que l’accentuer.

Michel Soudais  • 2 septembre 2015 abonné·es
Parti socialiste : la stratégie du chaos
© Photo : LEOTY/AFP

L’ambiance ne porte pas à la fête. Mais elle est moins explosive que l’an dernier, quand trois ministres venaient de démissionner et que le PS préparait son congrès. Et cela suffit à satisfaire Jean-Christophe Cambadélis, qui dresse ce constat à l’ouverture de l’université d’été de La Rochelle : « La France va mieux économiquement sans aller tout à fait bien. Mais elle ne s’en aperçoit pas parce qu’elle va mal politiquement. » Le patron du PS pointe la droitisation de la droite, et surtout la « fragmentation de la gauche ». Une fragmentation qui « existe dans toutes les formations », mais qui atteint, ce 28 août, « des aspects paroxysmiques » avec la crise des écologistes.

Opposé au traité transatlantique, Benoît Hamon a avancé, dans une séance plénière consacrée aux « crises européennes », un argument assez inédit puisé dans les conclusions d’une étude du Cepremap de 2005. Fondée sur une comptabilité des conflits dans le monde, elle montrait que la théorie du « doux commerce » de Montesquieu ne se vérifiait pas toujours et que le commerce multilatéral (le fait d’avoir de plus en plus de partenaires commerciaux et de dépendre de moins en moins de ses voisins immédiats) peut avoir pour conséquence « l’augmentation des opportunités de conflit avec ses voisins immédiats ».

« Dans l’état qui est celui de l’UE, a-t-il interrogé, peut-on se permettre de construire un partenariat transatlantique qui n’aurait comme conséquence première, outre le gain hypothétique de PIB, que d’affaiblir les échanges économiques entre pays européens et donc les solidarités entre eux ? » Avant de rappeler qu’« historiquement le traité de libre échange USA-UE a toujours été une position défendue par les libéraux comme un moyen d’affaiblir l’intégration européenne ». L’argument n’a ébranlé ni Pervenche Berès ni Michel Sapin, partisans de poursuivre les négociations pour y faire valoir « nos fils rouges ».

Ce constat n’est pas discutable. Au petit matin, Jean-Vincent Placé, le président du groupe écolo au Sénat, a annoncé sur Europe 1 qu’il quittait EELV pour cause de « dérive gauchiste ». Son homologue à l’Assemblée nationale, François de Rugy, député de Loire-Atlantique, l’avait précédé de 24 heures. Ce dernier assure vouloir « structurer, fédérer une force authentiquement écologiste », concurrente d’EELV, avec Génération écologie et le Front démocrate. « L’éparpillement » menace la gauche anti-austérité, s’alarme aussi Pierre Laurent, le secrétaire national du PCF, dont la formation tient son université d’été en Savoie. À trois mois des régionales, les formations du Front de gauche n’ont en effet pas de stratégie commune. Au sein même du PS, le congrès de Poitiers, s’il a donné une majorité nette en faveur du virage libéral conduit par le gouvernement, n’a pas fait disparaître les clivages. Pour preuve, avant l’université de La Rochelle, « réformateurs » et « frondeurs » s’étaient donné rendez-vous chacun de leur côté. La droite du PS autour de Jean-Marie Le Guen ou de Gérard Collomb à Léognan, en Gironde, avec pour invité vedette le ministre de l’Économie, Emmanuel Macron. La gauche du PS (Christian Paul, Emmanuel Maurel, Benoît Hamon, Laurent Baumel…) à Marennes, en Charente-Maritime. Et le ministre de l’Économie, qui, le même jour, s’est rendu à l’université du Medef, a suscité un tollé dans les rangs socialistes en y affirmant : penser que « la France pourrait aller mieux, en travaillant moins, c’était des fausses idées » .

Si le constat est juste, l’analyse de ses causes est particulièrement déficiente. À en croire Jean-Christophe Cambadélis, la « fragmentation de la gauche » qui le préoccupe tant, et sur laquelle il souhaite voir ses camarades réfléchir, serait due au développement des réseaux sociaux et à la recherche permanente du buzz ; la politique du gouvernement et du président de la République n’en est nullement responsable. Le fait qu’une présidence qui ne cesse de diviser les siens produit forcément une gauche divisée constitue l’impensé des socialistes. De la direction du PS, comme de l’immense majorité des militants présents à La Rochelle. Quand la présidente du MJS, Laura Slimani, ose rappeler à la tribune dimanche que « le moteur de l’union de la gauche ne peut pas être uniquement l’agitation du péril, pourtant bien réel, de l’extrême droite », que « ce qui unira la gauche, c’est un projet commun de transformation sociale », le patron du PS et Manuel Valls échangent un sourire condescendant. Et s’agacent quand l’effrontée rappelle qu’il « serait plus facile de demander aux écologistes de nous rejoindre pour les régionales si nous profitions du prix bas du pétrole pour mettre fin aux subventions du diesel », « plus facile pour les communistes de voter avec nous à l’Assemblée nationale si on réaffirmait notre volonté de toujours faire primer la loi sur le contrat, le droit du travail sur l’accord d’entreprise ». Car ce n’est pas la voie que trace Manuel Valls quelques minutes plus tard dans son discours de clôture. Certes, le Premier ministre a réaffirmé qu’il n’était « pas question de revenir sur la durée légale du temps de travail ». Mais le chef du gouvernement a défendu son ministre de l’Économie quand une petite partie de la salle a sifflé sa loi. Il a également confirmé son intention de remettre en cause le code du travail, « si complexe qu’il est devenu inefficace ». Promis de continuer à « agir, avec la même force, pour la compétitivité de nos entreprises, grâce au CICE et au Pacte de responsabilité », sans rien en changer bien que la direction du PS ait adopté fin juillet un rapport dans lequel elle prônait pour le budget 2016 une réorientation de l’aide en faveur des ménages. Il a de nouveau appelé les socialistes à « bousculer certains de  [leurs] tabous », à « sortir du nombrilisme pour s’adresser à tous », à « évoluer » et se remettre en cause pour bâtir « un nouveau cycle d’Épinay ». Manière de dire qu’il est temps de tourner la page du vieux PS.

Auparavant, Jean-Christophe Cambadelis avait rappelé que le PS avait décidé d’écrire « une nouvelle page de la social-démocratie »  : « Au siècle dernier, les socialistes ont été de tous les combats pour domestiquer le capitalisme sauvage, pour offrir dans des luttes et dans des interventions par la loi des droits sociaux. La bataille aujourd’hui dans notre siècle, c’est la bataille pour les droits vitaux et les socialistes doivent être à l’avant-garde de ce combat. » Appelant à une « alliance populaire », vague concept qui envisage de dépasser le PS dans un « rassemblement des progressistes » où les citoyens sont invités à rejoindre un cartel électoral constitué du PRG de Jean-Michel Baylet, du Mouvement progressiste de Robert Hue, et des petits groupes centristes écologistes : Génération écologie, le Front démocrate, Cap 21, sans oublier les démissionnaires d’EELV. Début juillet, Camba rêvait encore d’y associer EELV, qui avait été invité à co-organiser des ateliers à La Rochelle. Si Emmanuelle Cosse a bien participé à la séance d’ouverture consacrée à la COP 21, la photo de famille est trompeuse. L’atelier consacré au bilan de l’accord PS-EELV a tourné à l’affrontement, le socialiste Jean-Marie Le Guen expliquant entre autres que le PS n’avait « pas besoin arithmétiquement parlant » de cet accord qui n’avait qu’un but : montrer le rassemblement. Et que les écologistes devaient lui en être reconnaissants en manifestant une « loyauté » qui confine à la soumission. Officiellement, le PS jure n’être qu’un spectateur de la crise d’EELV. « Il ne faut jamais se réjouir lorsqu’une formation politique de gauche est en crise », assure son premier secrétaire, tout en concédant ne « pas repousser ceux qui ont tiré les conséquences de la mélenchonisation rampante de cette formation ». « Ni holà ni sifflet » donc. Voire.

C’est pourtant de La Rochelle que Jean-Vincent Placé a annoncé vendredi matin qu’il quittait EELV, qui « se fourvoie dans une dérive gauchiste », annonçant derechef son intention de soutenir François Hollande dès le premier tour de la présidentielle de 2017. La veille, après être intervenu aux Journées d’été du Front démocrate de Jean-Luc Bennahmias, le président du groupe écolo au Sénat avait passé la soirée avec des responsables socialistes. Sur une terrasse bien en vue du vieux port, il a d’abord eu un long tête-à-tête avec Christophe Borgel, le « Monsieur élection » du PS. Avant de s’attabler jusque tard dans la nuit avec des proches de Manuel Valls, comme son conseiller politique à Matignon, Yves Colmou, le sénateur du Val-de-Marne, Luc Carvounas, ou le député de l’Essonne, Carlos Da Silva. La petite bande a bu du champagne et même entonné un « Joyeux anniversaire Jean-Vincent », lequel n’est pas né un 27 août mais un… 12 mars. À défaut de parvenir à réintégrer EELV dans la majorité gouvernementale, des responsables socialistes influents jouent la carte de la décomposition du mouvement écologiste. C’est le cas de Claude Bartolone. Le président de l’Assemblée nationale n’a pas caché avoir appelé plusieurs cadres d’EELV après leurs journées d’été de Lille. « Ce que j’ai ressenti dans les conversations que j’ai eues avec un certain nombre d’entre eux, c’était la division. Le problème n’est plus de savoir si elle existe ou pas, le problème est de savoir quand elle va être officialisée », a-t-il confié lors d’un déjeuner de presse. Avant d’espérer que les parlementaires démissionnaires fassent bon usage de leur téléphone dans les jours qui viennent.

D’abord pour faire apparaître un « rapport de force  […] chez les députés, les sénateurs », seul susceptible, à ses yeux, de déboucher sur le retour d’écologistes au gouvernement. Mais aussi pour faire bouger la position d’EELV dans « un certain nombre de régions ». « Imaginez que mardi sur la région Île-de-France, il y ait la moitié du groupe Verts qui dise : “C’est terminé, on veut aller avec les socialistes au premier tour” », s’est pris à rêver Claude Bartolone, qui a offert à EELV le même nombre de conseillers régionaux qu’aujourd’hui (51), soit, au vu des sondages, bien plus que ce qu’ils peuvent espérer s’ils se présentent seuls. Or Claude Bartolone ne peut ignorer que si d’aventure les élus EELV s’opposaient à la stratégie décidée par leurs militants, la cassure au sein d’EELV serait irrémédiable et pousserait un peu plus ceux qui resteraient à se rapprocher du Front de gauche. « Pour le Parti socialiste, entre lui et le PG, il n’existe rien », commente David Cormand, le numéro deux d’EELV. « Pour l’Élysée, assure un ancien ministre socialiste, aucune candidature ne doit pouvoir exister entre François Hollande et Jean-Luc Mélenchon. » En somme, il s’agit de fracturer la gauche pour maintenir l’hégémonie du PS. Une stratégie du chaos bien périlleuse.

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