Informer ? Et puis quoi encore !

Dans un ouvrage collectif, seize journalistes d’investigation relatent leurs difficultés pour exercer leur métier. Soulignant notamment les entraves dans la presse locale.

Jean-Claude Renard  • 14 octobre 2015 abonné·es
Informer ? Et puis quoi encore !
© **Informer n’est pas un délit** , Calmann-Lévy, 234 p., 17 euros. Photos : BADER/citizenside/AFP

Après la pétition, le livre. En février dernier, on se souvient que la loi Macron comportait un amendement relatif au secret des affaires. Après un tollé général, l’amendement a été retiré. Avant que l’on ne découvre une directive européenne en préparation… sur le secret des affaires, au prétexte de protéger les entreprises des risques d’espionnage industriel. À l’initiative d’Élise Lucet et de Paul Moreira, une pétition a été lancée, sous le titre : « Ne laissons pas les entreprises dicter l’info ». Loin de vouloir défendre une corporation, il s’agissait d’alerter le public sur le droit à l’information, en tenant compte non seulement des journalistes, mais aussi de leurs sources et des lanceurs d’alerte. Car, sans eux, pas d’enquête, ni de révélation.

Toujours sous la houlette de Paul Moreira, aux côtés de Fabrice Arfi (Mediapart), cette pétition donne lieu aujourd’hui à un livre, Informer n’est pas un délit, dans lequel seize journalistes d’investigation relatent les difficultés qu’ils éprouvent à exercer leur métier. On y retrouve des noms connus, comme Benoît Collombat (France Inter), Gérard Davet et Fabrice Lhomme ( le Monde ), ou encore Denis Robert. Autant de voix qui se sont illustrées différemment, qui sur l’affaire Clearstream, qui sur l’empire de Vincent Bolloré au Cameroun, qui sur les dérives du sarkozysme… D’autres signatures sont moins connues du grand public. Leur travail n’est pas moins délicat. Comme celui d’Hélène Constanty, collaboratrice régulière à l’Express et à Mediapart, rapportant ici les difficultés de son enquête autour des relations entre spéculation et corruption sur la Côte d’Azur, là où « les élus dominants exercent sur les médias un contrôle subtil, discret et sournois, d’une redoutable efficacité ». S’interrogeant sur le cumul des mandats dans le département, la journaliste aura vite fait de devenir persona non grata, à l’instar de ses confrères soumis aux pressions et aux menaces du premier édile du coin, Christian Estrosi (cumulant pas moins de sept mandats). De fait, quand malgré tout son ouvrage a paru, Razzia sur la Riviera, Hélène Constanty n’a pas eu un écho dans les médias locaux, et surtout pas dans Nice-Matin, dont l’équilibre financier ne tient que par la publicité des trois principales collectivités (Ville de Nice, métropole et conseil départemental), cadenassées par le député-maire, qui profite de l’autocensure… Difficile dans ces conditions de révéler quoi que ce soit sur les deniers publics, de livrer une parole discordante dans une région qui souffre singulièrement du manque de pluralisme. Même le gratuit Metro a cessé sa diffusion papier ; ne reste que Direct Matin, propriété de Vincent Bolloré…

L’emprise des barons de province, c’est aussi l’objet du témoignage de Jacques-Olivier Teyssier, fondateur du site Montpellier Journal, qui entend souligner combien « les collectivités qu’ils dirigent sont des annonceurs et des partenaires importants des médias locaux ». D’où l’impossibilité de critiquer les pouvoirs en place. Quand Georges Frêche s’est représenté aux élections régionales de 2010, le budget communication (publicités et annonces légales) était de 38 millions d’euros. L’année précédente, la Gazette de Montpellier, la Gazette de Nîmes et celle de Sète ont perçu 1,6 million d’euros de la Région, du conseil général et de la mairie. Teyssier l’écrit tout net : « Sans les collectivités, pas de gazettes. Ou du moins, pas les mêmes gazettes. » Forcément, le moindre article critique passe mal, sanctionné par la suppression de pub, comme l’avait fait Frêche à l’égard du Midi Libre en 2005, quand le canard avait dressé un bilan peu flatteur de son mandat. Résultat : trois millions d’euros en moins dans les caisses. À ce prix-là, le quotidien n’est pas près de recommencer. Informer ? Investiguer ? S’abstenir ? Au moment où l’on s’interroge sur la concentration des médias, cet ouvrage dresse un état des lieux inquiétant du secteur. Ce n’est pas seulement la loi anti-concentration qu’il faudrait revoir, mais aussi celle de 1881 sur la liberté de la presse, franchement malmenée.

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