« Médor », carrément mordant

Le trimestriel belge veut renouer avec l’enquête. Sans jamais lâcher le morceau.

Jean-Claude Renard  • 6 janvier 2016 abonné·es
« Médor », carrément mordant
© www.medor.coop.fr

Une enquête sur les chemins de fer belges (SNCB), pris dans un système d’ « enveloppes » et de « racket »  ; le portrait d’un sexagénaire logeant dans un chalet en bois, symbole de la précarité ; un retour sur les œuvres tombées dans le domaine public et dont les auteurs ont pour nom Hitler ou Goebbels ; un autre sur la circulation des données personnelles à travers une carte de transport ; une enquête sur la société pharmaceutique Mithra, fabriquant une pilule contraceptive, dopée aux subsides publics, maniant le conflit d’intérêts, le « business plan trafiqué et la délocalisation fiscale » … Tel est le sommaire, mordant et couillu, de ce premier numéro de Médor.

Couillu et dérangeant. La veille du lancement, la société Mithra, craignant pour son image, a obtenu en référé unilatéral (sans prendre en compte les arguments du journal) l’interdiction de la publication de l’enquête, et donc la diffusion du titre, avec le risque d’être condamné à 12 000 euros d’amende par jour en cas de parution. De quoi mettre au pas et en péril un titre en gestation depuis trois ans. In fine, le magazine a obtenu gain de cause. Et le droit de paraître. Médor n’est donc pas qu’un nom d’animal. Ce trimestriel belge de 128 pages (à 15 euros le numéro), en quadrichromie, se targue ainsi de faire « du journalisme de journalistes », écrit l’équipage dans son éditorial inaugural. Cela peut paraître pompeux, mais c’est assez juste comme souhait. « Aussi ambitieux que de vouloir encore faire du “pain en boulangerie” alors que les grandes surfaces en proposent moins cher, plus vite et avec une odeur de cuisson diffusée en spray. » On aura vite fait, en effet, de comparer avec une certaine presse…

Mais « ce journalisme pétri à la main implique de se remettre à l’enquête, de contourner les machines de guerre que sont devenus les services de communication ». Il ne s’agit pas de se placer dans la conviction, mais de chercher à comprendre les faits. Son credo éditorial : insister. « On préfère le deep journalism au slow journalism. Ce qui compte, ce n’est pas d’être lent. C’est de creuser plus profondément », prévient le journal. Ce premier numéro le confirme, avec des articles étirés sur quatre, six ou quatorze pages ! Distribué en librairie et en kiosque, dans trois cents points de ventes (mais aussi accessible sur Internet), possédant déjà 2 400 abonnés, Médor est constitué en coopérative. Il entend ainsi permettre à chacun, du lecteur abonné au journaliste, dans la transparence et l’éthique, de jouer un rôle actif au sein de la structure en prenant une ou plusieurs parts (à 20 euros) et de représenter une voix en assemblée générale (quel que soit le nombre de parts acquis). « C’est un choix calculé, explique David Leloup, cofondateur et journaliste (l’enquête sur Mithra, c’est lui). On ne voulait pas d’actionnaires qui aient la possibilité d’orienter le contenu du magazine. Statutairement, personne ne peut prendre le pouvoir. »

Autre originalité du titre : sa rédaction « horizontale et tournante ». Les sujets sont naturellement déterminés en conférence de rédaction. Mais, ici, une rédaction en chef pilote chaque numéro, puis passe le relais à une équipe suivante. Pour Médor et ses dix-neuf collaborateurs, journalistes, graphistes, développeurs, auteurs visuels, cela permet de « partager le fardeau et les responsabilités », précise David Leloup. Un même partage des charges s’exprime dans la possibilité pour chaque signataire d’une enquête au long cours de se voir épauler par deux parrains, tout en étant payé deux fois plus que le tarif recommandé par l’Association des journalistes professionnels. Le premier tirage de 9 000 exemplaires s’est rapidement écoulé en décembre, Médor a tiré de nouveau 6 000 exemplaires. Cela pourrait ne pas suffire à satisfaire la demande. En attendant de développer un site Internet à la hauteur des ambitions de la formule papier.

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