« East Punk Memories » : À l’Est, no future

Dans East Punk Memories, la réalisatrice Lucile Chaufour retrouve d’anciens punks harcelés et réprimés par le pouvoir communiste dans la Hongrie des années 1980.

Éric Tandy  • 30 mars 2016 abonné·es
« East Punk Memories » : À l’Est, no future
© **East Punk Memories**, de Lucile Chaufour 1 h 20. Photo : DR

East Punk Memories raconte une autre histoire du punk rock, un genre né de façon totalement marginale et confidentielle à New York, puis devenu populaire en Grande-Bretagne et dans le reste de l’Europe, à l’Ouest comme à l’Est.

En Hongrie, par exemple, où Lucile Chaufour, déjà auteure d’un beau film sur les fans de rockabilly (Violent Days, en 2009), est partie à la recherche de ceux qui, dans les années 1980, s’étaient reconnus dans les Sex Pistols, découverts via Radio Free Europe, la station de propagande états-unienne à destination du bloc communiste (alors qu’aux États-Unis, à la même époque, les grandes ondes boudaient toujours les disques étiquetés punk).

La vagueno future a eu là-bas ses adeptes, ses victimes et ses particularités. Les chansons de Johnny Rotten et de quelques autres ont profondément touché les révoltés attirés par le nihilisme. « J’avais d’abord découvert les Sex Pistols et les Ramones : le fait qu’ils détestent tout, ça me plaisait », explique un ancien musicien à la réalisatrice.

Des images d’archives, tournées en 8 mm en 1984 dans un lieu minuscule, nous font assister au concert d’un groupe nommé QSS. Rock hargneux dans ce qu’il a de plus fruste et minimal, joué sans compromis : ce qui compte avant tout pour son jeune chanteur de 17 ans, Papp György Zoltan, c’est de cracher ses paroles : « Tu n’es qu’un enfant de la rue/Tu ne seras jamais secrétaire du Parti. »

Une violence verbale instinctive. À le regarder ainsi hurler son mépris, on comprend pourquoi le défoulement punk a touché autant d’adolescents quasiment partout dans le monde. Bien plus qu’une mode passagère ou qu’un simple courant musical, il permettait d’exorciser tout ce qui écrasait et brimait. Une colère internationale, générationnelle, que chacun adaptait à sa propre situation, à son contexte personnel ou à ses frustrations.

À Budapest, avant la chute du mur, le régime communiste était bien sûr la principale cible des punks traînant dans la rue avec leurs tenues bricolées. « Chaîne de WC autour du cou et cadenas, c’était ça mon look », se remémore l’un d’eux. « Être punk en Hongrie, ça demandait de la créativité », rajoute l’ancienne chanteuse de Trottel, l’un des premiers groupes à s’être produits à l’Ouest.

Un do it yourself vestimentaire qui, évidemment, n’était pas du goût des autorités. « Regardez-le, c’est un clown avec des -cheveux teints, c’est un ennemi du peuple » : dans son interview, Horvàth Attila se souvient d’un proviseur de lycée l’exposant à la vindicte des autres élèves.

Si l’État hongrois s’en est pris, souvent avec férocité (et bien sûr sans aucun discernement) aux punks, c’est aussi parce qu’un certain nombre d’entre eux affichaient et revendiquaient ouvertement leurs convictions nationalistes et d’extrême droite. Quelques-uns par provocation, d’autres parce qu’ils rêvaient réellement d’une Grande Hongrie « débarrassée du problème tzigane », comme le décrivent plusieurs d’entre eux. « Nous étions alors sous occupation russe. Quand on est sous occupation étrangère, on s’attache forcément à sa patrie », justifie l’un des interlocuteurs de Lucile Chaufour.

L’ambiguïté, la complexité, c’est aussi ce que l’on retrouve dans les sentiments exprimés sur la fin du régime et la période qui a suivi. Les avis des anciens punks divergent : certains regrettent le temps des hôpitaux gratuits, d’autres pensent que le communisme était le mal absolu. Intéressante est cette réflexion de Vànyi Tamàs, ancien batteur des Modells, l’un des rares groupes de l’époque à avoir obtenu un semblant de succès : « Est-ce que je souhaite le retour du communisme ? Bien sûr que non. Mais si dans vingt ans je suis encore en vie, je ne regretterai pas non plus la période actuelle. »

Un no future passé et présent que Lucile Chaufour a su parfaitement capter et faire ressortir.

Cinéma
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