« En toute indépendance »

Est-ce parce qu’elle considère qu’il existe une gauche sur le flanc gauche de Macron qu’Aude Lancelin a été saquée ?

Sébastien Fontenelle  • 29 juin 2016 abonné·es
« En toute indépendance »
© Photo : MARTIN BUREAU / AFP.

Politis a récemment publié une enquête extrêmement fouillée (1) – puis sa suite (2) – sur les techniques managériales en vigueur chez Free – l’opérateur de téléphonie mobile que tu ne choisis pas si tu n’as pas tout compris. La lisant, je dois reconnaître que j’ai trouvé ces pratiques choquantes. Mais je me suis vite rendu à l’évidence qu’elles ne l’étaient pas réellement et que je me laissais dominer par mes émotions. Car, sans cela, la presse comme il faut aurait donné un large écho aux révélations de Politis.

Free appartient à M. Xavier Niel, septième fortune de France selon le magazine économique états-unien Forbes – avec un patrimoine estimé à 6,9 milliards de dollars (3). M. Xavier Niel possède également de gros morceaux de la presse française : il s’est, au fil des ans, successivement acheté, avec deux associés – MM. Pierre Bergé et Matthieu Pigasse (4) –, le groupe Le Monde (5), puis L’Obs.

Penchons-nous sur ce dernier titre, pour observer que la directrice adjointe de sa rédaction, Aude Lancelin, a été, le mois dernier, très – très – sèchement licenciée. Son big boss, Matthieu Croissandeau, a alors expliqué qu’il avait pris « en toute indépendance »cette« décision »de« remanier l’équipe de direction du journal, pour des raisons d’efficacité qui tiennent à » _son« organisation interne, rien de plus »_. Ce que lisant, je dois reconnaître que j’ai d’abord été profondément bouleversé par la pureté de son intention.

Mais juste après, M. Claude Perdriel, magnat du sanibroyeur et cofondateur de L’Obs (dont il détient encore des bouts), qui est dit-on proche de M. Niel, a laissé échapper, dans un texto adressé à Aude Lancelin, ces quelques mots : « Je respecte vos opinions, mais je crois qu’elles ont influencé votre travail. » Puis de préciser, dans Le Figaro :« Quand on respecte son lecteur, on ne lui impose pas d’idées. Aude Lancelin donne la parole à Nuit debout ! Cela la regarde, mais ce n’est pas la ligne du journal. »

Et, à vrai dire, en lisant cela, j’ai douté. J’ai (très) brièvement envisagé que le renvoi d’Aude Lancelin puisse n’avoir pas été dicté seulement par les impératifs gestionnels dont excipait Matthieu Croissandeau, mais aussi par des considérations moins admirables. Je me suis même demandé si ce n’était pas parce qu’elle poussait son effronterie jusqu’à considérer qu’il existe une gauche sur le flanc gauche d’Emmanuel Macron que la directrice adjointe de L’Obs avait été saquée. Et je dois reconnaître que j’ai trouvé cela choquant.

Puis je me suis raisonné, et rendu à l’évidence que j’avais une fois de plus succombé à un excès de sensiblerie. Car, si vraiment L’Obs de M. Xavier Niel (et de MM. Pierre Bergé et Sid Pigasse) procédait dans la France de 2016 à des licenciements politiques, la presse comme il faut, attachée comme on la sait à la liberté d’expression, s’en scandaliserait.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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