L’obscénité est un métier

Pour Pierre Gattaz, les syndicalistes se comportent « comme des terroristes ».

Sébastien Fontenelle  • 1 juin 2016 abonné·es
L’obscénité est un métier
© Photo: FADEL SENNA / AFP

L’obscénité est un métier qui ces temps-ci, et par chez nous, ne connaît pas du tout la crise : le secteur recrute à tour de bras, et force est de reconnaître que la main-d’œuvre y est excellemment qualifiée.

L’autre jour, par exemple (je crois l’avoir déjà évoqué ici, dans une note de bas de chronique) : Alain Finkielkraut a essuyé, place de la République (75010 Paris), où il escomptait se mêler incognito à la foule des nuitdeboutistes, quelques insultes, et, semble-t-il, un crachement – putain, ce que les gens sont méchants avec les clercs spécialisés dans le glaviotage réactionnaire.

Ce qu’apprenant : un de ses voisins de philosophie – l’inénarrable Michel Onfray – a comparé ce crachat aux tatouages dont les nazis marquaient les déporté(e)s.

Par cette délicatesse, comme tu l’auras compris : l’exquis penseur signifiait que l’expression (certes un peu vive) d’un refus catégorique des rejets que professe Alain F. relèverait du nazisme – mais il est vrai aussi que l’intéressé [^1] avait de son côté, quelques années plus tôt, très posément assimilé, sous les ravis hourras de la droite défiltrée, « l’antiracisme » au stalinisme [^2].

Plus récemment, et à la « faveur » de l’essor du mouvement de résistance, porté (notamment) par la CGT, against la loi par quoi les « socialistes » veulent bousiller le droit du travail : des représentant(e)s du gouvernement (parmi qui se trouvait d’ailleurs Myriam El Khomri, dont ladite loi porte le nom) ont posément déclaré que les grèves étaient des prises d’« otages » – et cela n’était, j’en conviens, pas complètement nouveau, puisque de tels propos sont désormais de règle quand des salarié(e)s défendent leurs droits par des moyens autres que ceux que leur suggère la CFDT…

…Mais ce n’était pas encore assez pour la presse dominante – et en particulier pour Le Figaro, qui est quelque chose comme le bulletin paroissial du Medef –, où les éditorialistes de garde ont aboyé en canon que les cégétistes se situaient, sur l’échelle de l’humanité, juste derrière Joseph Staline, décidément très présent dans certains imaginaires.

Puis enfin, cet après-midi : le patron des patrons, also known as Pierre Gattaz, vitement oublieux de l’atroce bilan des attentats qui ont ensanglanté Paris en 2015, vient de vomir dans Le Monde que les syndicalistes de la cégète (dont la détermination lui évoque parfois, à lui aussi, « une dictature stalinienne ») se comportaient « comme des terroristes ».

En somme, dans la France de 2016 : si tu vas trop contre les ressentiments identitaires et les fureurs antisociales, les fabricants du consentement font de toi un potentiel tueur de masse, ou un tardif ressortissant des plus meurtrières tyrannies de l’histoire du siècle dernier – sans se soucier le moins du monde de ne pas trop piétiner la mémoire de leurs victimes…

[^1] Finkielkraut, donc : ça serait bien que tu suives un peu.

[^2] Pétri toujours de l’immense décence qui le caractérise au premier chef : il a quant à lui convoqué, pour affiner son avis sur les militant(e)s qui l’avaient expulsé de la place de la République, les mânes de Pol Pot…

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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