Notre-Dame-des-Landes : Les fourches se lèvent à l’Ouest

Notre-Dame-des-Landes n’est pas qu’une bataille locale. De nombreux agriculteurs de Bretagne s’investissent dans ce combat en phase avec leur philosophie de vie. reportage

Vanina Delmas  • 6 juillet 2016 abonné·es
Notre-Dame-des-Landes : Les fourches se lèvent à l’Ouest
© Photo : MANNONE CADORET/Citizenside/AFP

D’un regard, le doute s’estompe : nous sommes au bon endroit. Un avion noir sur fond jaune surmontant un « NON ! » majuscule autoritaire : fièrement collé sur le coffre d’une voiture, discrètement épinglé dans l’entrée d’une maison ou exhibé en format géant sur la façade d’une ferme, le signe de reconnaissance des opposants au projet d’aéroport de Notre-Dame-des-Landes s’affiche partout. Un étendard percutant que l’on croise tant sur les chemins verdoyants d’Ille-et-Vilaine que dans les villages du Morbihan.

Au fil des années, le réseau de solidarité s’est tissé bien au-delà des frontières de la Loire-Atlantique, notamment chez les agriculteurs bio, souvent associés à la Confédération paysanne. Copain 44, le collectif des organisations professionnelles agricoles indignées par le projet d’aéroport, la cellule-souche de cette mobilisation paysanne, se coordonne régulièrement avec ses soutiens dans les départements limitrophes. « La proximité géographique fait qu’on se sent naturellement proches de cette lutte. Ce projet d’aéroport, c’est l’illustration d’une politique qui aseptise les terres sans aucune considération environnementale ou sociale », explique Pierrick Rigal, éleveur de poules pondeuses.

Derrière ses fines lunettes, son regard s’anime dès qu’il raconte cette lutte qu’il connaît par cœur. Installé depuis deux ans à Vezin-le-Coquet, près de Rennes, -Pierrick prône la vente directe au sein du magasin Brin d’herbe et milite depuis plusieurs années. Il était déjà présent sur la ZAD lors du premier camp action-climat en 2009. Au milieu de ses hectares de terres bientôt transformés en ferme pédagogique, son engagement éclate au grand jour. « Ici aussi, on a une zone humide », lance-t-il en désignant une vaste étendue verte scrutée par des naturalistes en quête de pépites -environnementales et d’espèces protégées. Un parallèle avec le vivier d’animaux menacés présents sur le site choisi pour le futur aéroport, comme le campagnol amphibie, un petit rongeur. Des recours en justice attendent toujours d’être examinés, constituant pour le moment un rempart face aux bulldozers.

Ce respect de la nature relie les agriculteurs et les zadistes. Olivier Niol, éleveur de volailles à Saint-Jean-la-Poterie, dans le Morbihan, porte cette passion depuis l’enfance. À l’ombre d’un cerisier, il retrace l’historique de son investissement personnel. S’il a cofondé le collectif anti-aéroport Notre-Dame-des-Landes de Redon en 2009, il se bat pour privilégier la nature au béton depuis son plus jeune âge. Il se revoit, gamin, parcourir les champs avec un copain et démolir un mur de parpaings pour sauvegarder leur coin de verdure…

L’occupation de la ferme de Bellevue, dans le bocage de Notre-Dame-des-Landes, en 2013, symbolise cette philosophie_. « Bellevue a été repris par les paysans et pour les paysans. Copain 44 a lancé l’opération dès que les propriétaires ont quitté les lieux : on organisait des permanences pour qu’il y ait toujours une quinzaine de personnes sur place, de jour comme de nuit_. J’ai même laissé un tracteur sur place un mois entier pour faire rempart en cas d’attaque ! » Une bataille qui a resserré les liens entre les agriculteurs et les jeunes vivant sur cette zone à défendre. Certains zadistes de la première heure font encore tourner ce lieu emblématique du sauvetage des terres agricoles.

Le tracteur, arme ultime de l’agriculteur-militant. En janvier 2016, une simulation grandeur nature des « Tracteurs vigilants » a démontré l’efficacité de ce système de défense. Une soixantaine d’engins ont encerclé la ferme de Marcel et Sylvie Thébault, au lieu-dit Le Liminbout, l’une des quatre exploitations concernées par l’autorisation d’expulsion. Des barricades agricoles que les forces de l’ordre n’osent pas détruire et qui seront nécessaires prochainement, si les menaces de Manuel Valls sont mises à exécution. Mobilisables en quelques heures pour des actions coup de poing, les agriculteurs de l’Ouest constituent un second front de la lutte.

À la ferme de Kerdavid, dans le -Morbihan, Serge et Eurell relaient les informations qui arrivent de Copain 44. Cet après-midi-là, Gaétan, Dominique et Paul-Gildas, trois amis agriculteurs, sont venus parler de Notre-Dame-des-Landes autour d’un café. Tous installés depuis plusieurs années en bio, ils trouvaient logique de « filer des coups de main » aux défenseurs du site. Un soutien logistique et un ravitaillement alimentaire vitaux pour ceux qui vivent au quotidien sur la ZAD, notamment lors des périodes agitées, comme en 2012 avec l’opération César.

Ils ne savent pas vraiment par où commencer leur récit. Puis les langues se délient, au fil des bons souvenirs, comme la manifestation sur le pont de Cheviré, à Nantes, en janvier 2016. « On a organisé ça un peu à la dernière minute, quand on a appris l’avis d’expulsion des derniers agriculteurs de la ZAD », explique Gaétan. « J’étais prêt pour y passer la nuit, raconte Serge_. Les tentes étaient montées, la paille étalée par terre pour dormir, on avait déjà prévu les tours de garde… Et, à 23 heures, on a vu les flics arriver sur le pont avec les pare-buffles pour nous évacuer. »_

« Et tu te souviens quand on a participé au transport d’un hangar du Finistère jusqu’à la ferme de Bellevue ? », lance l’un des quatre acolytes. « Oui ! On avait pris la remorque à Muzillac jusqu’au barrage. Et les gens de Loire-Atlantique avaient pris le relais jusqu’à la ZAD », réplique Serge. Pour éviter les gendarmes, les agriculteurs de Bretagne avaient même préparé un leurre en convoyant un second hangar vers un autre lieu.

Des tactiques et des précautions dignes de films d’espionnage, et qui révèlent la face sensible de la lutte. En général, les informations transitent entre collectifs via les mails. Mais, pour les « opérations secrètes », pas de traces, et les téléphones portables restent même à l’extérieur de la salle de réunion.

Confédération paysanne, opposants à -l’aéroport, défenseurs du bio… Ce militantisme du quotidien est plus ou moins lourd à porter selon les régions. Chez Olivier, dans le pays de Redon, les scissions au sein de la population s’expriment à coups d’autocollants ou de tags pro–aéroport sur les abribus ou les panneaux d’entrée des fermes. « Lors de la réunion contradictoire organisée juste avant le référendum, les pro-aéroport n’étaient pas nombreux et venaient de Nantes, car, ici, la plupart n’osent pas se montrer. Et, comme ils viennent de milieux populaires, ils n’ont pas forcément l’habitude des débats »,décrit-il. Une discrétion que l’on retrouve également chez les autres agriculteurs, les « productivistes ». « On ne sait pas vraiment ce qu’ils pensent de ce projet d’aéroport, sûrement parce que la position de la FNSEA n’est pas très claire à ce sujet »,résume avec amusement Jean-Sé, un collègue de Pierrick. Le syndicat agricole a toujours exprimé son souhait d’évacuer la ZAD, mais les agriculteurs, quels qu’ils soient, restent sensibles au grignotage des terres et à l’artificialisation des sols. « De toute façon, nous sommes les paysans “opposés à tout”, donc on se fiche un peu de leurs remarques », conclut Jean-Sé.

La vision humaniste et militante du rapport à la terre est quasi génétique dans ces départements. Les références aux luttes paysannes en Loire-Atlantique dans les années 1970 ou antinucléaires à Plogoff, au Pellerin et au Carnet reviennent régulièrement dans les discussions. « C’est réellement l’opposition de deux conceptions du développement. Il se passe beaucoup de choses positives sur la ZAD, mais cela n’intéresse pas la société », résume Eurell.

Olivier avoue « avoir ça dans le sang », il a même réussi à convertir son père, qui participe désormais à chaque manifestation anti-aéroport. Et la nouvelle génération n’est pas en reste. « Notre fils aîné, qui a 18 ans, on l’emmenait en poussette dans les manifestations », sourit l’agriculteur. Une filiation de la lutte qui dure depuis des décennies, pour protéger, une fois encore, cette zone à défendre.

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Notre-Dame des résistances
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