Guy Régis Jr : Poésie, langue vivante

Les Francophonies en Limousin accueillent Guy Régis Jr, un auteur porteur de son histoire familiale et de celle de son pays, Haïti.

Gilles Costaz  • 28 septembre 2016 abonné·es
Guy Régis Jr : Poésie, langue vivante
© Photo : Patrick Fabre

C’est un poète et dramaturge haïtien qui délaisse souvent son île pour mieux l’aimer et la défendre. « J’écris plutôt en France car, à Haïti, il est interdit d’être solitaire », explique Guy Régis Jr. Aussi passe-t-il par Paris, Lille (où il a travaillé avec le directeur du Théâtre du Nord, Christophe Rauck) et Limoges. Il est souvent venu au festival des Francophonies, que dirige Marie-Agnès Sevestre (l’an dernier, il collaborait avec Valère Novarina), et il est l’une des grandes personnalités de l’édition 2016 qui vient de commencer.

Aux Francophonies, Guy Régis Jr organise des lectures et fait venir des spectacles de sa propre manifestation, le festival Quatre Chemins, à Port-au-Prince, qui aura lieu en janvier, au moment des élections. « On verra comment cela se passera, dit-il. De toute façon, ce festival, monté avec 45 000 dollars, est un beau moment de désordre dans la ville ! »

Guy Régis Jr est avant tout un poète (« J’attends sans cesse le moment du parler seul »), mais il a créé sa compagnie de théâtre, Nous, en 2001, qui donne des spectacles complexes, ni caressants ni distrayants. Pourtant, le public vient. Avec des moyens de bric et de broc, il persévère et joue parfois lui-même. Il a interprété Beckett et Gaudé. Sa pièce Le Père, qui est une merveille, s’inspire de sa vie : son père a abandonné ses enfants pour mener grand train aux États-Unis. Le voilà sous l’œil de la famille et du poète au moment de sa mort, flagellé par les mots (en réalité, ce personnage n’est nullement défunt. Guy Régis Jr a anticipé le départ de ce magnifique égoïste, et la pièce est une fiction qui prend le large par rapport à l’autobiographie).

Le poète aime le rendez-vous de Limoges : « Ce festival est plus connu dans le monde qu’en France même. Tout francophone d’Haïti le connaît. Il nous permet de suivre la langue française de l’extérieur. Entre Africains, Antillais, -Québécois, Français, c’est comme de se retrouver au bac, avec des gens du même âge, dans un lycée français. La francophonie, c’est seulement un problème pour la France. » Justement, peut-on toujours croire à la francophonie ? « Dans notre histoire d’Haïtiens, on a pris deux choses : la liberté et la langue. Cette culture, je la fais mienne. La langue française, c’est ma langue passeport. Je me défends avec elle. »

Guy Régis Jr s’affirme comme l’un des maîtres de cette langue « de l’extérieur », tout en écrivant aussi des poèmes en créole. On a vu à Paris l’une de ses pièces au Tarmac, Anne Alvaro a dit l’un de ses textes, Mourir tendre, sur France Culture, les Solitaires intempestifs publient ses pièces récentes, et il est traduit dans de nombreux pays.

Haïti a donné naissance à tant d’écrivains : Frankétienne, Dany Laferrière, Lyonel Trouillot… Pour Guy Régis Jr, c’est normal : dans son pays, tout commence par la poésie. Et le reste est malheureusement chaos, avec des catastrophes bien souvent planifiées par les puissances internationales. « Haïti est un pays où les gens disent non à chaque seconde, dit-il. C’est signe qu’on est debout. Nous ne voulons pas de dictature, mais nous avons l’impression d’être dans un tremblement de terre permanent. Ce chaos peut durer. »

Né en 1974, l’écrivain a connu l’espoir et le désespoir qu’ont représentés les différentes présidences de Jean-Bertrand Aristide. Il va publier en janvier le premier volume d’un triptyque romanesque qu’il consacre à ces années-là, Pays mensonger. Le premier tome comprendra 1 500 pages : un minimum pour conter Haïti sous Aristide !

Les Francophonies en Limousin, à Limoges, 05 55 10 90 10, www.francophonies.fr, jusqu’au 3 octobre.

Mourir tendre, De toute la terre le grand effarement et Le Père et Moi, fardeau inhérentsont parus aux éditions Les Solitaires ­intempestifs.

Musique
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