Télé : Dans la ligne de mire

L’emploi, le logement ou la pauvreté ont déserté le débat politique pour s’immiscer dans de nouveaux « concepts » ouverts à tous les clichés. Zapping.

Jean-Michel Véry  • 14 septembre 2016 abonné·es
Télé : Dans la ligne de mire
© Photo : STEPHANE DE SAKUTIN / POOL / AFP

Haro sur l’assistanat. Dans la droite ligne d’un Bruno Le Maire ou d’un Laurent -Wauquiez, M6 envoie la charge contre les « assistés », heureux bénéficiaires du RSA ou des allocations familiales. Dans son docu-réalité La Rue des allocs, le réalisateur Stéphane Munka livre en pâture le quotidien des habitants d’un quartier populaire d’Amiens. Démultipliant les clichés et les caricatures, sur fond de mauvais alcool et de triche supposée. Nourrissant la proposition de Bruno Le Maire, candidat à la primaire des Républicains (LR), lequel réclame un accès aux comptes bancaires des demandeurs du RSA, fustige l’aide médicale d’État pour les étrangers, déclarant plein d’emphase, sur BFMTV : « La solidarité, oui, le social à tout-va, non ! », enquillant sur le contrôle de l’allocation de rentrée scolaire, qui « trop souvent finance le rayon hi-fi du Leclerc du coin ».

Loin de l’empathie et de l’analyse, La Rue des allocs, boulevard des préjugés, capitalise donc sur la misère sociale de naufragés économiques et sociaux qui survivent avec au mieux 1 000 euros par mois, le plus souvent autour de 400 euros, seuls ou avec des personnes à charge. Sur les accidents de la vie : séparation, décès du conjoint ou licenciement dans cette région touchée par les fermetures d’usines – 1 143 salariés licenciés chez Goodyear en 2014, 12 décès dont 3 suicides [^1] –, on passe rapidement. C’est plutôt zoom sur une canette de bière, focus sur le poker en ligne sur le portable ou les jeux à gratter, murges et borborygmes. Certains participants ont rapporté dans Le Courrier picard que la production avait mis la main à la poche avec quelques packs de bière pour fluidifier les échanges. Le grossissement télévisuel cher à Pierre Bourdieu prend ici un double sens. Au bout du compte : début de baston, fondu au noir et fin de l’épisode. Si M6 escomptait de meilleures audiences, le programme a tout de même réuni 1 800 000 téléspectateurs.

Après la diffusion des deux premiers -épisodes, en août, et face aux protestations de nombre d’associations, dont la Fédération nationale des associations d’accueil et de réinsertion sociale – qui a saisi le CSA pour suspendre ce programme « stigmatisant et honteux face à la détresse sociale » –, la chaîne ne dit mot sur la date de diffusion des autres numéros déjà tournés. Pourquoi pas entre les deux tours de la présidentielle ?

Côté talk-show, France 5 s’est aussi posée au bistrot avec « C dans l’air », sorte de café du commerce du service public. Yves Calvi, exfiltré de France Télé et téléporté cette saison sur LCI, a régalé de sujets à caution pendant quinze ans. Sécurité, immigration, islam, terrorisme… Un tableau noir de l’actualité où le chômage et le social ont souvent fait défaut. Et des invités récurrents, essentiellement des mâles blancs autour de la soixantaine, venus se mettre d’accord sur une analyse populiste, validée par les questions finement triées des téléspectateurs en fin d’émission.

Autre créneau, sorti du débat politique mais ancré dans les ménages : le mal–logement. TF1 s’y est attelé avec « Tous ensemble », qui se veut un magazine de « solidarité », animé par Marc–Emmanuel Dufour et livré par La Concepteria, la société de production de Julien -Courbet. Recyclé d’une émission présentée par ce dernier sur France 2, « Service maximum » – gracieuse œillade au dispositif sarkoziste anti-grève –, le magazine de TF1 vient en aide aux familles en difficulté financière pour rénover leur habitation. Au prétexte de l’entraide, l’animateur entame un périple des entreprises du secteur, bonimentant les patrons de magasins de bricolage, les artisans, les voisins pour obtenir des matériaux et des bras. Faisant la part belle à des chefs d’entreprise responsables et solidaires, fracassant au bulldozer le mur de la lutte des classes, à la limite du publi-reportage tant les gros plans sur les enseignes sollicitées s’enchaînent, justifiant d’un échange marchandise, offrant une large visibilité sur la chaîne du groupe Bouygues.

Carton plein pour TF1, avec des audiences de larmes et de béton, frôlant les 3 millions de téléspectateurs et 40 % de part de marché. La chaîne a stoppé le programme à la suite de polémiques : travaux bâclés, incendie, malfaçons, menaces de procès ou encore un bénéficiaire propriétaire d’un restaurant gastronomique… Pas d’inquiétude si vous avez raté l’émission, elle est de retour depuis le 22 août sur NRJ12, désormais baptisée « Tous pour un », avec toujours en régie Julien -Courbet, le mousquetaire de l’info.

[^1] L’Humanité.fr, 22 janvier 2016.

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Télévision : À droite toute !
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