L’exil en mémoire

Avec « Un paese di Calabria », Shu Aiello et Catherine Catella livrent un documentaire sur des migrants qui, riches de ressources humaines, pallient l’exode rural dans ce coin d’Italie.

Jean-Claude Renard  • 9 février 2017 abonné·es
L’exil en mémoire
© Photo : Juste Distribution

Une terre aride et vallonnée, ponctuée d’oliviers et de vignes. Dans le village médiéval de Riace, accroché sur les hauteurs, déclinant ses reliefs écrasés par le soleil calabrais, les portes se sont refermées les unes après les autres, les maisons ont été abandonnées. Le village s’est dépeuplé, comme ailleurs dans le Mezzogiorno, ce Sud italien exsangue, vidé de ses habitants cherchant fortune au Nord ou ailleurs, du côté des Amériques. Riace ne tient plus que sur la mémoire de ses vieillards et quelques jeunes, résolument attachés au pays.

En 1998, après plusieurs jours de mer, 200 Kurdes ont débarqué sur les rives, aux pieds des pentes de Riace. D’autres migrants sont venus de Libye, d’Afghanistan, de Somalie, d’Éthiopie, portés par les vagues. Mais, pour tous, Riace s’est révélé une terre de refuge. En même temps que Riace s’est retrouvé un avenir.

Abordant le thème des migrants sous un angle original, celui de l’exode rural, de la désertification du Mezzogiorno, des terres d’élevages virées en théâtre de la solidarité, Un paese di Calabria, de Shu Aiello et Catherine Catella, est un documentaire heureux. Pas naïf, mais sensible (on y perçoit les traces du racisme très présent en Italie), proche d’un menu peuple filmé dans la fleur des nerfs d’un balcon au-dessus de la mer, avec une caméra prenant son temps, qui pour filmer les besognes quotidiennes, qui pour filmer une conversation, l’apprentissage de la langue, une fête ou le paysage maritime.

Un village contre la mafia

Il y a près de vingt ans, la mairie avait l’intention de retaper le bourg pour les touristes. Le nombre de migrants a augmenté, et « l’idée est venue d’en faire un village d’accueil ». Au fil du temps, on y apprend l’italien, on se confond aux villageois, on danse la tarentelle, on participe à toutes les activités communales dans une ambiance familiale. On se rend même à l’église où l’on prie dans sa langue. En deux décennies, Riace est passé de 900 à 2 100 habitants. Soutenue par l’État et l’Union européenne, l’association Città Futura gère maintenant l’accueil de 400 demandeurs d’asile ou réfugiés, de 22 nationalités différentes. Dans l’attente de leurs papiers, ils s’inscrivent dans un projet de deux ans de formation professionnelle et d’apprentissage de la langue. Pendant cette période, parties prenantes du développement local, ils perçoivent une allocation. Plusieurs familles se sont installées au village de façon pérenne. « Avec l’immigration qui arrive tous les jours, avec ce projet d’accueil, Riace a reçu une manne du ciel », se félicite un habitant, réjoui devant la réouverture de l’école et le maintien des commerces. Aujourd’hui, l’expérience s’étend aux villages alentours.

Si, dans le Sud, il n’y a pas de migrants sans mafia (la ‘Ndrangheta), exploitant leurs bras pour les travaux agricoles, à Riace, les habitants se plaisent à lutter contre « cet atavisme culturel », affichant fièrement « des choix forts, en rupture, des choix courageux ». Mais non sans exaction ni vandalisme en retour au village, qui reste le seul en Calabre à s’être porté partie civile contre les attaques de la mafia.

Pour le maire, Domenico Lucano, deux fois réélu depuis 2004 (et une troisième fois au moment du tournage, livrant des scènes de tension et de liesse), bien déterminé à « défendre les plus faibles », « c’est comme une mission, un apostolat ». Un apostolat qui donne une histoire commune au village, porté par la mémoire de l’exil des siens.

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