Kery James s’engage contre les violences policières

Le rappeur sera présent à la Marche pour la justice et la dignité organisée le dimanche 19 mars. Il veut sensibiliser l’opinion au danger que représentent les politiques sécuritaires.

Hugo Boursier  • 15 mars 2017 abonné·es
Kery James s’engage contre les violences policières
© photo : PIERRE ANDRIEU/AFP

« Depuis plusieurs années, je m’étais mis en retrait sur les questions de violences policières, car je me suis toujours méfié des discours qui pourraient être considérés comme victimaires. Dans ma chanson “Constat Amer”, qui date de 2012, j’ai écrit : “Et tes frères disparus que tu continues à pleurer/C’est pas des flics qui les ont butés/On est les premières victimes de notre propre violence.” Mais, avec les dernières affaires, Théo et Adama, j’ai trouvé qu’un palier avait été franchi. Je me suis donc rapproché de certains collectifs, comme Urgence notre police assassine, créé par Amal Bentounsi après la mort de son frère, Amine, en 2012 [1].

L’humiliation dépasse toutes les limites. C’est pour cela que la Marche pour la justice et de la dignité, le 19 mars, doit sensibiliser la population tout entière. Ce que l’opinion publique doit comprendre, c’est que le problème des violences policières ne peut pas rester un sujet qui sensibilise uniquement les jeunes de banlieue. Aujourd’hui, les populations les plus visées sont les Noirs et les Arabes. Mais, demain, les victimes de bavures policières pourront être de simples opposants politiques. Ce genre de violences a d’ailleurs déjà commencé, que ce soit avec la mort de Rémi Fraisse, en octobre 2014, lorsqu’il dénonçait la construction d’un barrage à Sivens, ou dans différentes manifestations.

Même si j’ai pris mes distances avec le monde politique et la gauche, j’ai été surpris que la seule réponse adressée par François Hollande aux familles des victimes qui dénoncent ces abus devant la justice soit une loi sur la sécurité publique, censée étendre le cadre de la légitime défense pour les policiers. Elle va forcément engendrer d’autres victimes. Ce que je constate, c’est une américanisation de la politique sécuritaire en France, notamment dans le rapport toujours plus accessible aux armes.

Avec cette réforme, le gouvernement donne aux policiers encore plus de possibilités de tirer. Après une simple sommation, les forces de l’ordre pourront désormais abattre une personne essayant de s’échapper. C’est inscrit dans la loi, alors que les policiers eux-mêmes constatent qu’ils ne sont pas assez formés sur ce sujet. Quel est l’objectif du gouvernement lorsqu’il met en place ce type de politique ? Comment les victimes de violences policières peuvent-elles réagir autrement que par l’indignation ?

Les familles, lorsqu’elles choisissent de lutter pour rétablir la justice, sont confrontées à des procès longs et difficiles, où les condamnations de policiers sont très rares. On mettait donc déjà des bâtons dans les roues des familles pour les fatiguer et les pousser à abandonner leurs poursuites. Aujourd’hui, au lieu d’affronter le problème et de taper du poing sur la table en cessant d’ignorer l’impunité dont jouissent les policiers, le gouvernement choisit d’étendre le cadre de la légitime défense, justement pour que les victimes de violences ne soient plus considérées comme telles !

On voit que les politiques se situent dans une optique électoraliste et ne souhaitent prendre en compte que la volonté des syndicats de police. C’est le cas pour la loi de sécurité publique, qui a repris tous les arguments énoncés pendant les manifestations des forces de l’ordre en novembre dernier. Mais cette constante injustice pourrait mener à des émeutes à côté desquelles celles de 2005 sembleront anecdotiques. Pourtant, personne dans les banlieues ne réclame l’impunité pour les voyous. Mais, quand les racailles en col blanc commettent des délits, comme celui de fraude fiscale, elles obtiennent certaines faveurs de la justice. Ces voyous-là ne sont jamais sodomisés en pleine rue…

Avec mon titre “Racailles”, dans mon dernier album, je dresse le constat que de nombreux politiques ont été accusés d’avoir commis des malversations, mais qu’ils sont encore au pouvoir. Ce sont des pratiques très courantes. C’est pour cela que François Fillon, soupçonné d’avoir eu recours à des emplois fictifs, se considère comme une victime. C’est parce que les autres politiques font la même chose et que, cette fois-ci, c’est tombé sur lui.

Toute cette culture de libertés supplémentaires accordées aux politiques et aux forces de police doit être interrogée et remise en cause. D’ailleurs, quand je vois que certains policiers récusent l’existence même des contrôles au faciès, je trouve cela très inquiétant ! On l’a constaté encore récemment dans “L’Émission politique”, sur France 2, lorsque Benoît Hamon rendait visite à des policiers. Ils sont les seuls à ne pas reconnaître l’impunité dont ils jouissent.

Cela choque beaucoup, tout comme ces reportages qui mettent systématiquement en scène un visage négatif des banlieues. Celui de l’émission “Complément d’enquête” sur le bar de Sevran (93), faussement accusé d’être proche des milieux islamistes, est un exemple parmi d’autres. Que les faits soient erronés ne m’a même pas surpris. Mais le problème des médias n’est pas seulement, comme ici, idéologique. Il est aussi économique. Les médias ne doivent pas être la propriété de grands groupes industriels ou financiers, parce que c’est l’indépendance des journalistes qui est en jeu. Les vraies enquêtes d’investigation devraient être plus courantes que le simple commentaire. C’est l’une des raisons qui m’ont poussé à créer le site lebanlieusard.fr, pour que les informations émergent directement des personnes qui habitent dans ces lieux.

Voilà pourquoi, dimanche, j’espère que nous serons le plus nombreux possible à marcher pour la justice et la dignité. Il faut que les politiques qui observeront cette manifestation s’arment de courage pour mettre fin au problème systémique que sont les violences policières. »

[1] Le policier a été condamné en appel, le 10 mars, à cinq années de prison avec sursis. La légitime défense n’a pas été retenue.