L’écologie, nouveau marqueur politique

Avec le verdissement de Jean-Luc Mélenchon puis celui de Benoît Hamon, renforcé par le ralliement de Yannick Jadot, les idées écologistes constituent désormais un pilier de la pensée de gauche.

Patrick Piro  • 8 mars 2017 abonné·es
L’écologie, nouveau marqueur politique
© Photo : PHILIPPE HUGUEN/AFP

Dimanche 15 janvier, deuxième débat télévisé de la primaire organisée par le Parti socialiste. On aborde le thème de l’écologie, et la journaliste Ruth Elkrief lance : « Est-ce qu’il ne faut pas dire la vérité aux Français, que l’environnement, ça coûte plus cher pour le portefeuille ? » Puis, précisant son angle d’attaque : « Est-ce que mettre fin au diesel n’est pas une question de bobos ? »

L’écologie, tendance chic pour Parisiens aisés : les poncifs d’une autre époque servis par l’animatrice de BFM TV tombent à plat devant les sept candidats. Benoît Hamon était particulièrement visé : depuis le début, ses idées sont au centre des débats de cette primaire, où le frondeur socialiste se présente notamment comme profondément converti à l’écologie. Dans un entretien au site Reporterre [1], il déclarait : « J’ai été croyant – au sens où la croissance économique est devenue un culte – mais je ne le suis plus… Je le dis et je le répète pour que tout le monde comprenne bien : je ne serai plus socialiste sans être écologiste. »

Le programme du candidat est structuré par les hypothèses de la fin de la croissance et de la raréfaction du travail sous la poussée des technologies numériques. Il juge aussi nécessaire le « changement de paradigme », car la santé et l’environnement sont menacés. Cet ancrage est désormais renforcé par l’accord passé avec Europe écologie-Les Verts (EELV), qui acte une intégration presque complète des grands axes programmatiques défendus par Yannick Jadot, qui s’est retiré en sa faveur. L’ex-candidat écolo vient d’ailleurs d’être adoubé « conseiller spécial » par Benoît Hamon, dans un organigramme qui fait une place royale aux nouveaux partenaires puisqu’il accueille pas moins de 31 de leurs cadres (Cormand, Duflot, Joly, Mamère, Rivasi, Bové, Durand, Meirieu, Sas…).

En l’espace de quelques semaines, le frondeur socialiste aura rendu visible une petite révolution idéologique qui, si elle n’entraîne pas l’ensemble du PS, loin de là, vient renforcer un mouvement de fond amorcé notamment par Jean-Luc Mélenchon depuis 2012 : l’écologie fait désormais partie des piliers de la pensée de gauche.

L’affirmation de son aggiornamento par Benoît Hamon est récente, « mais il s’est sensibilisé aux questions écologiques quand il dirigeait le ministère de l’Économie sociale et solidaire [2], affirme Guillaume Balas, responsable programme de son équipe. Il a pris conscience que l’idéologie du productivisme était à la source d’une crise climatique et écologique à dimension existentielle. Par ailleurs, la cause de l’écologie est un puissant facteur de remobilisation contre la logique du marché. »

Le frondeur a notamment été influencé par l’eurodéputée EELV Michèle Rivasi, ex-candidate à la désignation écologiste pour la présidentielle, qui milite activement pour la reconnaissance des dégâts environnementaux sur la santé – nucléaire, pesticides, OGM, diesel, etc. « Ces luttes rejoignent l’approche sociale classique de Benoît Hamon, c’est une écologie concrète au service de la défense des plus faibles », analyse Guillaume Balas.

À l’époque où pointe l’intérêt de Jean-Luc Mélenchon pour les idées vertes, celui-ci échange avec Michèle Rivasi lors d’une visite de la centrale nucléaire de Nogent-sur-Seine en 1989. Trois ans auparavant, cette professeure agrégée de sciences naturelles avait fondé la Criirad, premier organisme indépendant d’information sur le nucléaire et la radioactivité, en réaction à l’omerta officielle qui a entouré la catastrophe de Tchernobyl en France.

« Alors qu’il était encore au PS, il défendait des motions marquées par l’écologie », confie Corinne Morel Darleux, membre du Parti de gauche (PG) dès son origine (en 2009), où elle prendra notamment en charge des assises pour « l’écosocialisme ». « À la création du PG, un appel avait été lancé pour que des militants écologistes et des décroissants viennent y insuffler une culture de l’écologie politique qui nous manquait, rappelle-t-elle. Nous voulions bâtir un projet commun entre les traditions sociales, écologistes et républicaines. »

En dépit des apparences, le Rubicon écolo ne recoupe que partiellement la classique démarcation gauche-droite. Ainsi, le Parti communiste, s’il est travaillé par le défi climatique ou la protection de la biodiversité, reste globalement pro-nucléaire. Le NPA entend aussi répondre à l’urgence écologique, mais de manière incidente : c’est analysée comme l’une des multiples manifestations de l’impasse du capitalisme que la crise environnementale trouve sa place dans le système de dénonciation du parti d’extrême gauche.

« Car le point de clivage principal, c’est le rejet du productivisme, relève Corinne Morel Darleux. Il trace une ligne mouvante au sein de la gauche. » Ainsi, sans besoin de référence à un positionnement politique, la Confédération européenne des syndicats (CES) traduit-elle l’impasse du modèle fondé sur la croissance « à tout prix » en un mot d’ordre très clair : « Pas d’emploi sur une planète morte ».

Le premier déplacement écologique d’ampleur est d’ailleurs venu de la droite, avec le lancement du Grenelle de l’environnement en 2007. Franck Laval, écologiste plutôt proche de ce sérail politique et directeur de la petite association Écologie sans frontière, en aurait soufflé l’idée au président Nicolas Sarkozy. Ce grand forum, qui a eu le mérite d’impliquer la société civile, s’il a accru le niveau de sensibilité général et fait progresser les esprits, n’a cependant jamais envisagé de remettre en cause les fondements du modèle économique. La véritable motivation de Nicolas Sarkozy : mettre le grappin sur la frange de l’opinion préoccupée par le dérèglement climatique, le renchérissement de l’énergie ou la pollution des milieux. Constatant son échec, il le révélera par une notoire sortie électoraliste, lors du Salon de l’agriculture de 2012 : « Toutes ces questions d’environnement […]_, ça commence à bien faire. »_ Celui qui conserve une réelle influence au sein des Républicains a depuis chanté les mérites du gaz de schiste – dont l’exploration a été barrée en 2011 par une loi votée sous son quinquennat –, se rangeant même, lors de la primaire de la droite et du centre, dans le camp des plus outranciers négateurs du dérèglement climatique – « Ça fait quatre milliards d’années que le climat change […]_, il faut être arrogant comme l’homme pour penser que c’est nous qui l’avons changé… »_

Outrances à part, cette primaire a passé à peu près sous silence les questions d’écologie, que ne portent avec une certaine conviction que Nathalie Kosciusko-Morizet, adepte d’une réforme de l’économie qu’elle veut rendre « circulaire [3] », et Alain Juppé dans une moindre mesure. « La droite assume difficilement la dimension politique de l’écologie », reconnaît celle qui fut ministre de l’Écologie sous Sarkozy, fustigeant le désintérêt de son camp pour un champ qu’il perçoit trop souvent comme un « luxe qu’on se paye quand on le peut [4] ». François Fillon prévoit, s’il est élu, de débarrasser le monde de l’entreprise du principe de précaution. « C’est symptomatique, souligne l’écologiste centriste Corinne Lepage. Normes, prise en compte des impacts sociaux et environnementaux, etc., cette droite est suspicieuse envers tout ce qui entrave le développement économique et sa rentabilité à court terme. »

Dès lors, est-ce un hasard si l’écologie (en France, à tout le moins) s’est structurée politiquement au sein d’un creuset de gauche, dès les années 1970 et ses mouvements anti-nucléaires ? « La philosophie de la droite n’est pas compatible avec une écologie sincère », lance Corinne Morel Darleux, qui convoque Gilles Deleuze : « La gauche, c’est d’abord penser le monde, puis son pays, puis ses proches, puis soi-même ; la droite, c’est le contraire. » Corinne Lepage accuse ce camp d’être resté figé dans une approche industrielle des années 1970 : « La révérence constante envers “l’excellence nucléaire” est révélatrice de cette nostalgie conservatrice, alors que la filière décline et que le nouveau réacteur EPR est un fiasco avant même d’avoir démarré. » Et si Jadot, Mélenchon et Hamon rejettent le projet d’aéroport à Notre-Dame-des-Landes, imaginé dans les années 1960, la droite le soutient.

La position vis-à-vis du nucléaire est d’ailleurs un assez bon marqueur de la consistance écologique des uns et des autres : sortie programmée pour EELV, le PG et la France insoumise et le courant Hamon ; ligne « Hollande » pour le reste du PS (hors quelques pro-nucléaire acharnés) et de la gauche ainsi que pour Macron – à savoir le recul de 75 % à 50 % en 2025 de la part du nucléaire dans la production d’électricité nationale. À droite, on défend la consolidation, la reprise de l’investissement – la « relance » du nucléaire pour François Fillon. Le Front national professe une opportuniste écologie « patriote », soumise aux injonctions de la « priorité nationale ». Ainsi Marine Le Pen, qui en juin 2011 jugeait cette énergie « énormément dangereuse », surfant sur le choc de la catastrophe qui avait frappé Fukushima trois mois plus tôt, reviendrait demain sur la décision « PS-EELV » de fermer la centrale de Fessenheim, fruit selon elle d’une écologie « punitive et fiscaliste » qui porte un « coup dur » à l’emploi local.

Et qu’en est-il d’Emmanuel Macron ? Officiellement ni gauche ni droite, moins ouvertement marqué par les idéologies productivistes des décennies passées, il se garde de trancher. Corinne Lepage, qui est membre du comité politique d’En marche !, le mouvement politique du candidat, décrit sa position comme pragmatique, éloignée des « dénis » de la droite comme des « envolées lyriques » de gauche. « Il ne se prononce que sur l’ambition de la mandature, défend-elle. Pour autant, son programme écologique est loin d’être ridicule, il fermerait une douzaine de centrales – pas moins qu’Hamon et Mélenchon ! » Il ferait aussi régresser le diesel, mais sans plus d’engagement de sortie que pour le nucléaire. Quant au devenir de l’aéroport de Notre-Dame-des-Landes, il serait remis entre les mains d’un « médiateur ». Le savant équilibrisme de Macron.

[1] Entretien sur Reporterre.net, 3 janvier.

[2] De 2012 à 2014.

[3] Recyclage, réemploi, réduction des déchets à la source, etc.

[4] Tempsreel.nouvelobs.com, 28 novembre 2015.

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