Leurs allumettes et leur grattoir

Par leurs imprécations antimusulmanes, ces éminences nous détournent de leurs menées antisociales.

Sébastien Fontenelle  • 29 mars 2017 abonné·es
Leurs allumettes et leur grattoir
© photo : VALÉRY HACHE / AFP

L’autre jour, un (bon) camarade m’expliquait, en substance : « Toi, quand même, tu parles quand même assez souvent de l’islam, dans Politis. Quand même. » (Sous-entendu : alors que tu pourrais parler aussi de problèmes plus problématiques, genre le capitalisme, et le patronat, et le capitalisme.) Et comme c’est quelque chose qu’on entend périodiquement ces temps-ci, j’ai pris un petit peu de temps pour y réfléchir un petit peu plus avant.

Résultat de cette grave méditation : non. Non, je ne parle pas « assez souvent de l’islam ».

Par contre – et tu vas voir que la nuance est de quelque importance –, il est parfaitement exact que je parle régulièrement de(s) gens, innombrables dans notre paysage, qui parlent, eux, très – très – souvent de l’islam. Et qui en parlent en des termes qui ne sont pas outrancièrement amènes, puisque leurs interventions, sur ce sujet, se résument généralement à l’énoncé (dit et redit ces jours-ci par l’intègre M. Fillon) qu’il serait temps de procéder à un « contrôle administratif du culte musulman », et à la profération, réitérée toutes les dix heures environ par les forgerons de l’opinion, que la religion mahométane, outre qu’elle est « sans-gêne » (selon l’hebdomadaire Le Point), fait salement « peur » (selon L’Express) à qui n’en est pas – téma le gars en djellaba, et dites-moi s’il n’effraie pas.

Pour le dire autrement : ça ne m’intéresse pas plus que ça, moi, l’islam, en principe. Entendons-nous bien : je n’éprouve rien qui ressemble, de près ou de loin, à ce que le camarade Tévanian [1] appelle « la haine de la religion [2] » – fût-ce celle, très exagérément prosélyte selon moi, qui depuis quelques années s’agrège dans la célébration fanatique d’une « laïcité » pervertie en machine de guerre anti-muslims, précisément. Mais je suis, dans le même temps, si étranger aux religiosités que je préférerais, de fait, utiliser tout autrement le temps passé ici (et ailleurs) à parler de ces gens qui consacrent de si longs moments de leur vie à stigmatiser l’islam.

Sauf que, précisément, si nous renonçons à pointer que c’est par le biais de leurs permanentes imprécations antimusulmanes (parmi quelques autres, toujours ciblées vers des populations minoritaires) – comme par celui, naguère, de leurs anathèmes anticommunistes – que ces éminences nous détournent collectivement de leurs menées antisociales, nous leur abandonnerons pour de bon le périmètre dont ils occupent déjà les carrefours stratégiques, où ils agiteront en hurlant l’épouvantail d’un imaginaire péril vert, cependant que, de la main droite, ils signeront silencieusement les édits entérinant la dislocation de nos droits sociaux.

L’anticapitalisme est, en somme, un peu comme un combat contre des pyromanes : on sait qu’il sera plus efficace si on n’oublie pas de leur prendre aussi leur grattoir xénophobe quand on prétend leur confisquer leurs allumettes patronales.

[1] Fais-moi penser à te rappeler sous très peu que les éditions La Découverte viennent de republier, dans une version très augmentée, son excellent livre : La Mécanique raciste. Et à te montrer pourquoi tu dois le (re)lire très vite.

[2] La Haine de la religion, Pierre Tévanian, La Découverte, 2013.

Publié dans
De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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