Dominique Rousseau : La Constitution nous protège de Le Pen, mais…

Pour Dominique Rousseau, les institutions ne permettraient pas à Marine Le Pen d’appliquer son programme.

Dominique Rousseau  • 3 mai 2017
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Dominique Rousseau : La Constitution nous protège de Le Pen, mais…
© photo : Manuel Cohen / MCOHEN / AFP

Après avoir entendu tant de vilaines choses sur la Constitution de 1958, il pourrait être bizarre de découvrir soudainement qu’elle serait une garantie possible contre la mise en application du projet de Le Pen si elle était élue. Et pourtant.

Pourrait-elle utiliser, par exemple, l’article 16 qui lui permettrait de réunir entre ses mains tous les pouvoirs en cas d’attentats terroristes ? Pas sûr. Cet article a été imposé par de Gaulle en souvenir de la déroute de 1940 et des lois constitutionnelles de la IIIe République qui ne donnaient pas au chef de l’État le fondement juridique qui lui aurait permis de s’opposer à Pétain en ordonnant aux forces armées de poursuivre la guerre aux côtés des alliés. Et de Gaulle l’a utilisé une seule fois, lors du putsch d’Alger en avril 1961. Pour le mettre en œuvre, il faut que « les institutions de la République, l’indépendance de la nation, l’intégrité du territoire soient menacées d’une manière grave et immédiate et que le fonctionnement régulier des pouvoirs publics constitutionnels soit interrompu ».

Objectivement, une situation d’attentats terroristes ne crée aucune de ces conditions : les différents attentats qui ont touché la France depuis janvier 2015 sont la preuve qu’ils n’ont pas empêché le Conseil des ministres, le Parlement, la Justice, les forces armées, la police, l’Éducation nationale de fonctionner. Et le Conseil constitutionnel, qui doit être consulté par le président de la République avant la mise en œuvre de l’article 16, pourrait rendre un avis motivé et public sur l’inconstitutionnalité de son usage en l’espèce. Si malgré un avis négatif, Le Pen mettait en œuvre cet article, il est prévu que « le Parlement se réunit de plein droit et que l’Assemblée nationale ne peut être dissoute ». Dès lors, s’appuyant sur l’avis du Conseil constitutionnel, le Parlement pourrait voter, en vertu de l’article 68 de la Constitution, la destitution du Président pour manquement manifeste aux devoirs de sa charge.

Pourrait-elle utiliser, par exemple, l’article 11 pour faire décider par référendum, aussitôt après son élection le 7 mai, l’introduction dans la Constitution de la préférence nationale, la suppression de l’article 88 indiquant que « la République française participe à l’Union européenne » et l’adoption du scrutin proportionnel ? Non, sauf coup d’État institutionnel. Aucun de ces trois sujets n’entre, en effet, dans le domaine référendaire que l’article 11 limite à l’organisation des pouvoirs publics, aux réformes relatives à la politique économique, sociale ou environnementale et à la ratification de traités ayant une incidence sur le fonctionnement des institutions. D’autre part, le Premier ministre, qui a l’initiative du référendum, a l’obligation de venir défendre sa proposition référendaire devant l’Assemblée, qui pourrait alors déposer une motion de censure et renverser le gouvernement. Ce qui est arrivé à Georges Pompidou le 5 octobre 1962.

La présidente Le Pen pourrait cependant maintenir le référendum mais le Conseil constitutionnel, qui doit être obligatoirement consulté sur les textes préparatoires, pourrait rendre un avis déclarant contraire à la Constitution l’usage de l’article 11 pour procéder à une révision constitutionnelle. Ce qu’il a fait en 1962. Malgré cet avis négatif – qui pourrait conduire le Conseil à refuser de contrôler la régularité des opérations d’un référendum qu’il aurait déclaré contraire à la Constitution –, la présidente Le Pen pourrait organiser le référendum. Comme l’a fait le général de Gaulle en 1962. Mais alors, elle commettrait un coup d’État institutionnel pour reprendre la formule qu’avait lancée… François Mitterrand.

Aussi imparfaite soit-elle, la Constitution actuelle protège « la forme républicaine du gouvernement », c’est-à-dire, une devise, Liberté, Égalité, Fraternité (article 2 de la Constitution), et une tradition, le consentement aux transferts de souveraineté nécessaires à l’organisation et à la défense de la paix (alinéa 14 du préambule de 1946). La préférence nationale et le retrait souverainiste ne participent pas de la forme républicaine ; pour les établir, il faudrait donc violer la Constitution, supprimer ses principes pour en poser d’autres qui sont ceux de l’État français de Vichy. Et comme souvent dans l’histoire politique française – 1799, 1851, 1958 – ou étrangère – la Turquie en avril 2017 –, un référendum viendrait « blanchir » un coup d’État…

Dominique Rousseau Professeur de droit constitutionnel à l’université Paris-I-Panthéon Sorbonne

Politique
Temps de lecture : 4 minutes
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