Rythmes scolaires : « Rester sur 5 jours et revoir la copie ! »

Le ministre de l’Éducation prépare un projet de décret permettant de revenir à la semaine de quatre jours à l’école. La chronobiologiste Claire Leconte invite les communes à rester à 4,5 jours répartis sur 5 jours mais en révisant les organisations mises en place depuis 2013. Entretien.

Ingrid Merckx  • 9 juin 2017 abonné·es
Rythmes scolaires : « Rester sur 5 jours et revoir la copie ! »
© photo : CRÉDITJEAN-CHRISTOPHE VERHAEGEN / AFP

Septembre 2013, la loi sur la refondation de l’école défendue par Vincent Peillon accompagne les communes volontaires pour passer à 9 demi-journées d’école (contre 8 depuis la réforme Darcos de 2008), moyennant un soutien financier. Septembre 2014, toutes les communes doivent appliquer la réforme dite des rythmes scolaires avec des aménagements et dérogations possibles. Se mettent en place presqu’autant d’organisations que de communes : certaines optent pour trois quarts d’heure de classe en moins par jour, d’autre pour une après-midi en moins par semaine, d’autres allongent la pause méridienne ou gomment des quarts d’heure ici et là. Le temps périscolaire dégagé est rarement de qualité et, surtout, rarement gratuit comme prévu initialement par la réforme. Les communes font valoir que l’investissement est trop important alors qu’elles souffrent d’une baisse de dotations de l’État. Les élèves et les enseignants se disent plus fatigués. Les activités du mercredi basculent rarement sur le week-end. La tendance générale est au mécontentement.

Claire Leconte est chronobiologiste.

Juin 2017, le nouveau ministre de l’Éducation, Jean-Michel Blanquer, présente un projet de décret proposant d’assouplir cette réforme en vue, notamment, de permettre aux communes qui le souhaitent de revenir à la semaine de quatre jours. Le Conseil supérieur de l’Éducation (CSE) a voté contre ce projet le 8 juin. Cette instance, qui regroupe 48 personnels de l’Éducation nationale, une dizaine de parents d’élèves et 12 collectivités territoriales, n’a qu’un poids consultatif. Mais elle met en évidence la division des enseignants sur la semaine de 4,5 jours. En effet, le syndicat du premier degré Snuipp-FSU avait publié un communiqué où il annonçait qu’il voterait pour le projet de décret en se disant _« très critique sur la réforme des rythmes scolaires qui, partant le plus souvent des contraintes des collectivités territoriales et oubliant parents et enseignants, n’a pas atteint son objectif d’améliorer les apprentissages des élèves. »

Pour la fédération des parents d’élèves FCPE, « le risque est que l’on détricote ce qui a été mis en place, et que l’on aille vers un accroissement des inégalités territoriales ». Les élus urbains se sont, pour leur part inquiétés de ce projet de décret : « Car cette organisation est pourtant aujourd’hui stabilisée, après un travail de longue haleine avec l’ensemble des parties prenantes, des dépenses importantes que l’Etat n’a compensées que partiellement ayant été engagées.»

Le 8 juin également est paru un rapport sénatorial dans lequel les Sages préconisent de rester à 4,5 jours par semaine en favorisant une demie-journée le samedi matin ou en revenant à quatre jours mais en rognant sur les vacances pour que les journées ne dépassent pas 5 heures et 30 minutes. Chez les chronobiologistes, le samedi matin travaillé plutôt que le mercredi fait consensus. Exemples : Lille (59), Yvetot (76) Montfermeil (93), Joeuf (54), Saint-Jean-Les-Deux-Jumeaux (77), Changys (77).

Analyse de la chronobiologiste Claire Leconte

Enseignant chercheur, professeur honoraire en psychologie de l’éducation à l’université Lille III et spécialiste des rythmes de l’enfant depuis les années 1980, Claire Leconte a accompagné plusieurs villes et communautés de communes dans leur travail d’aménagement des rythmes scolaires et périscolaires. L’Île-Saint-Denis, Mulsanne (Sarthe), Tarnos (Landes), l’intercommunalité du Pays fléchois, plusieurs communes de l’Ariège, Miramas (Bouches-du-Rhônes), ou Lannion (Côtes-d’Armor) l’ont contactée « pour ne pas faire n’importe quoi » ou parce quelles se sont rendu compte que ce qu’elles avaient fait depuis trois ans « ne fonctionnait pas ».

Selon la chronobiologiste, le temps scolaire doit être réparti sur 5 jours, avec des matinées allongées et des après-midis raccourcies dont une consacrée à un parcours périscolaire, des temps de détente après le temps scolaire mais aussi pendant la pause méridienne, et une révision des rythmes sur l’année, ceci afin d’éviter le morcellement des temps et des activités et d’inciter les familles à privilégier la régularité du rythme veille-sommeil pour les enfants.

Politis : Ce projet de décret permettant de revenir à une semaine de quatre jours à l’école marque-t-il un retour en arrière ?

Claire Leconte : C’est surtout un constat d’échec. On disait la réforme inscrite dans le marbre. Elle ne l’est pas. On a cessé de pointer les dangers : inégalités territoriales, insatisfaction de beaucoup d’élus et parents, difficultés à fidéliser les animateurs, enfants mal accompagnés etc. Tous les maires ont cru qu’ils devaient assumer trois heures d’activités sur la semaine. C’était faux, aucun texte ne l’imposait. On pouvait très bien ne le faire que sur 2 h 10. Beaucoup d’aménagements ont donc été faits sur la base d’une fausse information.

Je suis assez en colère car j’ai participé aux ateliers de concertation sur les rythmes éducatifs organisés pendant l’été 2012. J’avais déjà mis en garde en disant qu’il fallait prendre le temps de cette réforme. Parce que les rythmes biologiques de l’enfant sont mal connus, qu’il fallait former enseignants et animateurs, informer les parents, etc. À chaque fois, on me répondait : « Arrête de demander du temps, en 2014 il y a les municipales ». J’avais rétorqué que les rythmes politiques prenaient le pas sur celui des enfants. Les municipales ont déjà porté un coup au PS et à la réforme des rythmes scolaires. J’avais fait des propositions expliquant qu’il ne fallait pas proposer une découpage trop fin du temps pour ne pas émietter les temps des enfants. Je militais donc pour une semaine de cinq jours, et non de 9 demi-journées, en m’appuyant sur des expériences comme celle vécue à Lille depuis 20 ans.

C’est pourtant l’option 9 demi-journées qui a été retenue. J’avais écrit à Vincent Peillon une lettre qui a beaucoup circulé.

Les communes que vous avez accompagnées vont-elles rester au modèle « sur cinq jours » ou être tentées de revenir à quatre jours pour des raisons financières ?

Les communes que j’avais accompagnées en 2013 ont attendu 2014 pour passer à la réforme en espérant des assouplissements. Le décret Hamon nous a permis de mettre en place des organisations avec un peu plus de sens que des quarts d’heure éparpillés sur la journée. Pour l’instant, elles restent à 4,5 jours, car l’organisation les satisfait. Mais si l’État leur impose des coupes sombres, ce sera très difficile pour elles de poursuivre. Lancée par l’Education Nationale, la réforme n’a pas été soutenue par l’Éducation nationale. Le passage à cinq jours a quand même nécessité un investissement de la part des communes qui ont voulu mettre en place des organisations avec un peu de sens, ne serait-ce que pour recruter des personnels et transporter les élèves.

Deux risques se profilent : ceux qui vont vouloir revenir à quatre jours car très insatisfaits du rythme actuel, en oubliant qu’à quatre jours, ça n’était pas beaucoup mieux. Le deuxième risque, c’est de faire payer les familles qui voudront rester à 4,5 jours. La gratuité du périscolaire dégagé était un des principes de départ de la réforme. En fin de compte, nombre de communes font payer les familles… Les communes que j’accompagne respectent le principe de gratuité.

Les enfants qui restaient avant au centre de loisirs n’ont pas de journées moins longues depuis la réforme mais un temps scolaire réduit. Qu’est-ce qui est effectivement plus fatigant pour les enfants ?

Je voulais absolument éviter l’émiettement du temps des enfants et refusais le principe que seule la journée scolaire comptait et qu’avec trois quarts d’heures de moins, ce serait moins fatigant. Un peu de garderie le matin, classe, pause de midi, classe, puis périscolaire de trois quarts d’heure puis centre de loisirs… J’ai même vu des communes où les enfants sont emmenés ailleurs pour une activité de trois quarts d’heure, qui ne dure en fait que 20 minutes, puis retournent au centre de loisirs. Comment voulez-vous qu’ils ne soient pas fatigués ? L’ambition de base était de faire mieux réussir les enfants à l’école et de changer profondément le fonctionnement de l’école. Ça n’est pas le cas : on continue à faire trois heures de maths et de français le matin et les autres matières l’après-midi. Les matières comme l’EPS, les arts plastiques et la musique sont en danger.

Que préconisez-vous pour respecter au mieux les rythmes de l’enfant ?

Première préconisation : rallonger les matinées, ce qui permet de travailler totalement autrement. Ce sont les moments de plus grande disponibilité des enfants et on peut jouer sur des alternances pédagogiques en introduisant de la musique, de l’EPS, de la découverte du monde… Faire appel à la créativité permet des respirations par rapport à des moments de concentration. Les matinées doivent pouvoir tourner autour de 3 h 30, 3 h 45, voire 4 heures comme à Lille, où les enseignants sont très satisfaits de cette organisation depuis des années. Cela permet même de dégager des temps de travail en petits groupes.

Du coup, les après-midis durent 2 h 05, 2 h 10. Pour le périscolaire, pas question de faire 45 minutes d’activités tous les jours, plutôt consacrer une après-midi à un parcours pris en charge par la collectivité et permettant aux élèves de développer des compétences nouvelles à partir de l’expertise des animateurs : parcours cinéma, robotique, marionnettes, astronomie… Pas forcément très coûteux, l’idée étant de développer un projet sur sept ou huit semaines. Cela valorise les animateurs qui transmettent une passion et ne sont pas dans l’occupationnel. Si c’est autour du jardin, on peut parler des semences, des saisons. Autour du vélo, de l’histoire du cycle, du fonctionnement de l’équilibre, de la réparation d’un vélo, et clore le parcours avec une randonnée etc.

Tout peut donner lieu à un projet sans forcément se décliner en succession de séquences. Mais c’est impossible à faire en trois quarts d’heure. Il faut aussi ne pas se lancer directement dans l’activité pendant ces deux heures mais privilégier des temps d’échanges en début et fin de parcours sur le mode du « Quoi de neuf ? » développé par la pédagogie Freinet. Les enfants n’ont plus ce genre de temps à disposition pour prendre la parole et exprimer leurs émotions ou réflexions.

Lancez-vous un appel en faveur de la semaine de 5 jours ?

J’appelle en effet à rester à 5 jours par semaine mais en revoyant la copie. Je n’ai jamais dit qu’il fallait alléger la journée mais travailler sur les contenus et la transmission de ces contenus. On peut faire six heures moins coûteuses que cinq. Quatre heures le matin et deux l’après-midi, c’est moins fatigant que deux fois trois heures. La semaine de quatre jours n’a pas été si décriée que ça parce qu’elle arrangeait bien les adultes. La répartition des temps sur l’année non plus : j’ai fait une comparaison entre 33 pays, la France est le seul pays à avoir quatre fois deux semaines de vacances dans l’année. C’est bon pour le tourisme, beaucoup moins pour les élèves qui pâtissent d’une interruption trop longue. Il faudrait ainsi complètement revoir le troisième trimestre au cours duquel les enfants se couchent tard en permanence : on pourrait supprimer les vacances et étaler les ponts.

Il vaudrait mieux, par ailleurs, éviter les activités extrascolaires, sportives et culturelles, après 18 heures, et les programmer plutôt dans la journée ou le samedi. Enfin, arrêter de fustiger les ateliers de type « origamis » dans les centres de loisirs. Après le goûter, les grands doivent pouvoir commencer leurs devoirs et les plus petits profiter d’un temps de détente avant de rentrer à la maison, car beaucoup d’enfants sont sous pression. Ce peut être un temps pour dessiner, lire, bricoler, jouer aux Kapla… où même, pour ceux qui en ont envie, un temps pour ne rien faire, écouter les autres, regarder les mouches voler… Savoir rêvasser est utile pour grandir !

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