« 120 Battements par minute », de Robin Campillo : Une histoire vivante

La réussite de 120 Battements par minute, de Robin Campillo, est à la fois éthique et esthétique.

Christophe Kantcheff  • 26 juillet 2017 abonné·es
« 120 Battements par minute », de Robin Campillo : Une histoire vivante
© photo : Céline Nieszawer

« Jamais je n’aurais pensé qu’en créant Act Up Paris, en 1989, un film serait projeté un jour à Cannes. » Ainsi s’exprimait sur Twitter Didier Lestrade, cofondateur d’Act Up, le 20 mai dernier, au sortir de la projection officielle de 120 Battements par minute, le film de Robin Campillo qui a décroché le Grand Prix au palmarès. Comment imaginer, en effet, que ce que l’on accomplit dans le présent, tendu par l’énergie et sans recul, puisse devenir « historique » ? Mais, dès lors, quelle responsabilité pour ceux qui ont l’audace d’en faire la matière première d’un film, d’une œuvre d’art !

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Robin Campillo, qui fut militant d’Act Up, avec Philippe Mangeot, son coscénariste (lire son entretien ici), a relevé haut la main ce défi. Sa réussite est à la fois éthique et esthétique. Le cinéaste aurait pu couler sa mémoire dans le marbre ; il s’y est refusé. Si ses personnages ont une dimension épique, il ne les a pas transformés en héros parfaits à travers une geste édifiante. _120 Battements par minute écrit la légende d’Act Up, mais celle-ci est vibrante, profondément vivante, traversée par la vitalité, la révolte et la fragilité aussi, due à la précarité des existences menacées par une maladie destructrice. Robin Campillo prouve en outre qu’un travail de reconstitution du passé, le début des années 1990 en l’occurrence, notamment dans les costumes (les bombers, les jeans sans taille basse…), n’étouffe pas forcément une mise en scène, contrairement à d’autres de ses confrères engoncés dans la livraison d’images d’époque.

Bref, 120 Battements par minute respire la justesse, et même la vérité. C’est ce qui produit la première grande émotion chez le spectateur, qu’il ait été le témoin de ce qui est conté ou non. Outre l’intelligence du scénario, les comédiens dont s’est entouré le cinéaste y sont pour beaucoup. Ils forment un groupe homogène, chacun avec suffisamment de personnalité pour singulariser son personnage, et tous font passer une extraordinaire force de conviction. Les séquences de réunion hebdomadaire (RH), avec leur flux de paroles, la dynamique des reparties et la théâtralité de l’amphi (les « montagnards » en haut), sont d’extraordinaires moments de cinéma. En même temps qu’elles attestent de l’énergie du collectif militant, entre inventivité politique et humour cru – exemple, ce slogan assurément génial (et authentique) : « Des molécules pour qu’on s’encule ! »

Tenus par l’impératif de la mort omniprésente, confrontés à nombre d’ennemis – les pouvoirs publics hypocrites, les laboratoires pharmaceutiques… –, les militants d’Act Up, qui ne sont qu’une poignée, mènent un combat homérique, mais celui-ci n’est jamais détaché du prosaïsme. D’où un refus systématique du romantisme. Pour preuve : cette scène d’une ironie radicale, où Sean (formidable Nahuel Pérez Biscayart), dans le métro, soudain filmé à travers la vitre, ce qui décolle le plan du réalisme, entreprend une tirade « inspirée » – « avec le sida, c’est comme si je vivais plus intensément les choses… » – pour aussitôt dynamiter ce discours.

On pourrait citer bien d’autres moments qui témoignent de la pertinence de la mise en scène, déjà remarquable dans Eastern Boys, le précédent film de Robin Campillo. La scène de sexe à l’hôpital entre Nathan (Arnaud Valois) et Sean figure parmi les plus bouleversantes. Quelques séquences en montage parallèle s’avèrent également d’une grande force, à la fois poétique et politique : images d’archives d’Act Up/voix off sur la révolution de 1848 ; confrontation en RH du directeur du laboratoire pharmaceutique/opération des kaposis de Sean.

À partir de son expérience de la lutte contre le sida, intime et collective, Robin Campillo a donc produit un grand objet de cinéma. Gageons que 120 Battements par minute peut aussi contribuer à insuffler du courage à ceux qui se battent aujourd’hui dans les mêmes conditions qu’Act Up à l’époque : dans l’urgence et la plus grande adversité.

120 Battements par minute, Robin Campillo, 2 h 20. En salles le 23 août.

Cinéma
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