« L’École du peuple », de Véronique Decker : Conseils de classe

Véronique Decker livre son quotidien de directrice d’école en Seine-Saint-Denis et décrit la réalité des quartiers populaires, loin des clichés.

Vincent Richard  • 12 juillet 2017 abonné·es
« L’École du peuple », de Véronique Decker : Conseils de classe
© photo : GEOFFROY VAN DER HASSELT/AFP

O ui, le niveau baisse. Mais pas le niveau des élèves, le niveau de la qualité de l’action de l’État social que nous n’avons pas su exiger. » Véronique Decker, directrice d’une école de la cité Karl-Marx, à Bobigny, a l’art de la formule pour désigner les responsables de la déroute qui menace l’école dans l’un des départements les moins favorisés de France : la Seine-Saint-Denis. C’est là que cette institutrice, syndicaliste et citoyenne engagée, enseigne depuis plus de trente ans. Elle avait déjà commencé à raconter son expérience, l’an dernier, dans Trop classe ! Enseigner dans le 9-3 (Libertalia). Elle donne une suite à ce premier livre avec L’École du peuple.

Le titre fait directement référence au pédagogue français Célestin Freinet, auteur de Pour l’école du peuple. Dans son établissement, Véronique Decker s’efforce de mettre en œuvre cette pédagogie coopérative et émancipatrice. Mais, pour autant, son ouvrage n’a rien d’un essai universitaire sur le sujet. L’auteure livre au lecteur 64 billets pétillants, agrémentés d’anecdotes et de cas pratiques, où Freinet apparaît simplement en filigrane. Un récit très concret, donc, mais qui ne se complaît pas dans l’anecdotique. Il est aussi politique, exposant les vrais problèmes auxquels enseignants, élèves et parents sont confrontés dans ces quartiers populaires : pauvreté, santé, logement, ghettoïsation, etc., là où la délinquance ou la religion sont le plus souvent dans le viseur des médias.

L’enseignante évoque par exemple cette chaudière qui ne sera remplacée qu’après onze pannes et un trimestre parce que la mairie n’était pas en mesure de la financer (billet 38). Ou encore les heures passées à appeler le 115 pour trouver un hébergement d’urgence à des familles d’élèves (billet 44). Car être directrice d’école à Bobigny, ce n’est pas juste être chef d’établissement, c’est aussi affronter les réalités parfois tragiques que vivent les élèves et leurs familles.

Véronique Decker décrit également les impasses des réformes successives, lesquelles consistent le plus souvent à demander aux enseignants de faire mieux avec moins, le « redéploiement » des personnels qui permet d’éviter d’embaucher, les « Rep+ », dernier nom des zones d’éducation prioritaire, qui lui font se poser la question : « Rep plus de quoi ? » (billet 53).

Ni angélique ni misérabiliste, souvent drôle malgré le caractère dramatique des situations vécues, ce petit livre donne à voir une école populaire loin des clichés, dans sa dure réalité, mais aussi avec humanisme et une forme d’optimisme. Pour son dernier billet, Véronique Decker écrit ainsi : « L’école du peuple, c’est un projet à construire, avec l’objectif de faire de nos enfants un seul peuple défendant un projet commun à toute l’humanité, au lieu de hisser des winners écrasant tout sur leur passage à la tête du monde à venir. » Un ouvrage à conseiller d’urgence à nombre de nos politiques.

L’École du peuple, Libertalia, 128 p., 10 euros.

Idées
Temps de lecture : 3 minutes

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