Après le déluge

À Saint-Martin, la France a « déployé » les mêmes troupes qu’elle avait affectées naguère à la « pacification » de l’Algérie.

Sébastien Fontenelle  • 13 septembre 2017 abonné·es
Après le déluge
© photo : Martin BUREAU / AFP

Généralement, après une catastrophe « naturelle [1] », on envoie des secours. Des pompiers, genre. Mais, après que l’ouragan Irma a ravagé Saint-Martin, la France y a aussi « déployé », au nombre des secouristes et en sus d’un « renfort » de plusieurs centaines de gendarmes, des légionnaires et des paras de l’infanterie de marine [2] : les mêmes troupes, donc, qu’elle avait, parmi d’autres, affectées naguère à la « pacification » de l’Algérie insurgée.

Cette fois, il est plutôt question de « sécurisation ». Car l’île serait, si l’on en croit du moins la presse mainstream, et par exemple Le Figaro – qui ne cesse depuis quelques jours de le répéter presque à chaque heure pour mieux s’étonner ensuite de ce que ses habitant-e-s prêtent l’oreille à de folles « rumeurs » –, livrée à des « pilleurs » qui auraient même dévalisé sa seule armurerie, et qui profiteraient du désastre pour s’équiper en petit et moins petit électroménager. Tu lis tout ça – qui véhicule un imaginaire colonial de niveau 9 –, tu flippes salement, parce qu’en vrai personne n’a vraiment envie de croiser dans des rues dévastées des mecs qui tirent sur tout ce qui bouge en hurlant qu’ils veulent des écrans plats.

Puis tu écoutes les témoignages de Saint-Martinois(e)s qui ont tout perdu dans l’ouragan et qui n’ont pas, eux, les moyens de se replier ailleurs – et tu les entends expliquer qu’en fait de « pillages » ils procèdent principalement, après avoir constaté que la France était peut-être moins empressée de leur envoyer des vivres que des troupes d’élite, et à la fin de ne pas crever complètement, au prélèvement de quelques denrées de base, et que « c’est plus du vol, c’est de la survie [3] ».

Puis tu te remémores que l’île voisine de Saint-Barthélémy, également – mais moindrement – touchée par le cyclone, bénéficie d’une (non-)fiscalité si avantageuse qu’elle attire les milliardaires comme l’aimant la limaille.

Puis enfin tu apprends que le coût des dégâts, après le passage d’Irma sur les Antilles, sera « bien supérieur à 200 millions d’euros », et comprends que c’est bien évidemment la collectivité qui paiera les réparations. Et tu te demandes à quoi tient que les pansu(e)s blanc(he)­s qui fuient là-bas l’impôt mais se montrent ensuite si ravi(e) s de bénéficier de cette solidarité ne sont jamais – au grand jamais – qualifié(e)s de « pilleurs » par une presse qui, tout au rebours, manque rarement une occasion de vanter l’avantage spéculatif qu’ils trouveraient à faire l’acquisition de quelques lointains biens îliens…

[1] Je mets des guillemets parce que nous savons désormais que l’espèce capitaliste porte une assez lourde responsabilité dans le dérangement climatique.

[2] Puis aussi quelques éléments du GIPN – de sorte qu’il ne manque plus que quelques commandos des forces spéciales pour que le dispositif soit complet.

[3] Le Parisien, 9 septembre.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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