La démocratie sociale ? Une mystification

Une démocratie réelle suppose la liberté d’agir et l’égalité en droit.

Mireille Bruyère  • 6 septembre 2017 abonné·es
La démocratie sociale ? Une mystification
© PHILIPPE WOJAZER / POOL / AFP

Avec ses ordonnances pour réformer le droit du travail, le gouvernement annonce vouloir donner plus «  d’égalité, de liberté et de sécurité aux salariés comme aux entrepreneurs, en renforçant le dialogue social  ». Au cœur de la ritournelle néolibérale d’une conciliation raisonnable d’intérêts opposés (le social et l’économique/les salariés et les employeurs/la solidarité et la compétitivité), il y a l’inversion de la hiérarchie des normes du travail. L’accord d’entreprise deviendra la norme qui s’impose à l’accord de branche et au code du travail. Ces derniers auront seulement vocation à préserver «  l’ordre public  » national ou professionnel. Mais un accord d’entreprise pourra aussi modifier les contrats de travail individuels et ainsi s’imposer au salarié sans qu’il puisse s’y opposer. L’objectif n’est donc pas de « sécuriser » les salariés, mais bien de faire primer le plus possible les considérations de la seule rentabilité au sein de l’entreprise.

Le gouvernement annonce qu’il s’agit de produire une norme plus «  près du terrain  », et donc plus adaptée aux réalités du travail. Les promoteurs de cette inversion invoquent une plus grande autonomie donnée aux salariés et à leurs représentants dans les entreprises. Il s’agit de renforcer la «  démocratie sociale  ». N’importe qui ayant poussé la porte d’une entreprise actuelle peut voir la mystification. En effet, une démocratie réelle du travail suppose deux conditions réciproques : la liberté d’agir et l’égalité en droit.

Concernant l’égalité en droit, le lien de subordination juridique en est la négation. Concernant la liberté d’agir des salariés, la généralisation des pratiques de discriminations syndicales montre que cette liberté est réduite à peau de chagrin. Une série d’études publiées par le ministère du Travail témoignent de l’ampleur du phénomène, en particulier dans le déroulement des carrières salariales [^1]. Comment négocier librement dans ces conditions ?

Mais cette mystification de la démocratie sociale est aussi à l’œuvre du côté des «  entrepreneurs  ». La figure de l’entrepreneur est en voie de disparition. La mondialisation a conduit à une montée en puissance des groupes d’entreprises qui pilotent le travail à distance selon la seule rentabilité financière. La réalité vient disqualifier cette illusion d’une négociation d’entreprise proche du terrain : 33 % des entreprises de 10 à 20 salariés appartiennent à un groupe, 54 % des entreprises de 20 à 50 salariés, et plus de 80 % au-delà de 50 salariés  ! Cette organisation en groupe est un marqueur du néolibéralisme. Elle permet une déconnexion complète entre le salarié et l’employeur réel (le centre financier du groupe), alors que l’employeur légal (le dirigeant de l’entreprise) n’est plus qu’un mandataire. Comment alors imaginer un dialogue entre acteurs si peu libres et si peu égaux ? Cette « démocratie sociale » est une mystification – tout comme dirait George Orwell «  l’aliénation, c’est la démocratie  ».

[^1] « La discrimination syndicale en question : situation en France et panorama international », Travail et emploi145 et 146, 2016.

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