Non, tout ne se vaut pas

Le Monde procède à une très dangereuse détraction des antiracistes.

Sébastien Fontenelle  • 29 novembre 2017 abonné·es
Non, tout ne se vaut pas
© photo : Manuel Cohen / MCOHEN

Encore un – dernier – mot, à propos de l’infâme procès en « complicité » avec « l’islamisme » que Manuel Valls et quelques autres calomniateurs-trices instruisent depuis plusieurs semaines contre Mediapart et son moustachu fondateur – Edwy Plenel, bien sûr –, et des commentaires navrants que suscite cette affaire.

Un mot, plus précisément, d’un récent éditorial du Monde, qui appelait, à un « apaisement », et dont l’auteur-e, anonyme, écrivait : « Cet embrasement témoigne de la guerre de religions qui crispe dangereusement, depuis des années, la société française à propos de la place de l’islam. D’un côté, les tenants d’une laïcité rigoureuse, qui récuse tout communautarisme et qui redoute le poison de la propagande islamiste. De l’autre, les partisans d’une laïcité ouverte au dialogue avec toutes les composantes de la communauté musulmane, afin de ne pas stigmatiser celle-ci au nom de l’islamisme, voire du terrorisme djihadiste. Gauche “égarée” contre “islamo-gauchisme” complice. Le tout à coup de généralisations à l’emporte-pièce, d’amalgames douteux et de vieilles détestations recuites. »

Puis demandait : « Comment les uns et les autres ne mesurent-ils pas qu’ils aggravent le mal qu’ils prétendent soigner ? Qu’ils aiguisent des tensions et un malaise trop vifs pour être davantage excités ? Qu’ils perdent le sens d’un débat trop sérieux pour être ainsi dévoyé par l’insulte et la haine ? Qu’ils vident enfin de son sens une laïcité dont l’ambition est de faire vivre ensemble, sous les lois de la République, ceux qui croient et ceux qui ne croient pas ? »

Chaque mot, là, est problématique – mais, comme je n’ai toujours pas obtenu pour cette chronique les feuillets supplémentaires que je réclame depuis bientôt neuf siècles, coupons court vers l’essentiel, qui est que cet édito renvoie dos à dos, comme si ils et elles portaient une égale responsabilité dans la mise au ban de plusieurs millions de Françai-se-s, les publicistes haineux-neuses [1] qui depuis des années stigmatisent les musulman-e-s – et les commentateurs-trices que révulse cet acharnement.

Le Monde, en soutenant ainsi [2] que les réponses parfois un peu vives de ces dernier-ères aux calomnies dégueulasses des chauvin-e-s mainstream seraient par trop outrancières, et en suggérant, beaucoup plus gravement encore, que leur engagement contre l’islamophobie « aiguise » et « excite » cette haine, procède, de fait, à une très dangereuse détraction des antiracistes.

Mais du moins cette perfidie n’est-elle pas complètement nouvelle – puisqu’il y a fort longtemps déjà que l’extrême droite grogne elle aussi que « c’est l’antiracisme qui alimente le racisme ».

[1] C’est joli, hein, cette écriture inclusive ? Puis tu sais quoi ? C’est stimulant. On comprend que ça déplaise tant aux mecs du gouvernement.

[2] Et sous le commode – mais en vérité si incommodant – couvert de l’anonymat de ses éditorialistes, sempiternellement justifié par le fait qu’il serait de tradition au sein de cette vénérable institution.

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De bonne humeur

Sébastien Fontenelle est un garçon plein d’entrain, adepte de la nuance et du compromis. Enfin ça, c’est les jours pairs.

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