La double histoire des Femen

Le journaliste Olivier Goujon a enquêté sur l’aventure des féministes ukrainiennes, entre vérité et manipulation.

Denis Sieffert  • 6 décembre 2017 abonné·es
La double histoire des Femen
© photo : Michel Stoupak/NurPhoto/AFP

Les Femen, ce sont deux histoires. L’une de révolte pure, qui débute dans une petite ville de l’ouest ukrainien, l’autre de manipulations et de coups tordus, dans le Paris médiatique. C’est du moins ce qui transparaît du livre enquête du journaliste Olivier Goujon, mais aussi du remarquable film Naked War, du cinéaste Joseph Paris.

Au départ, ce sont trois jeunes filles qui décident de briser le carcan de la domination masculine dans un pays de l’ex-Union soviétique toujours inféodé à Moscou. Anna et Sacha sont imprégnées de lectures marxisantes. Elles ont lu passionnément La Femme et le Socialisme de l’un des fondateurs de la social-démocratie allemande, August Bebel (1840-1913). Oxana, elle, est une artiste, douée pour penser ce qu’on appelle des événements. Leur credo : « Utiliser les armes désexuées de la féminité au service du féminisme. » D’où les poitrines dénudées et cet usage du nu si bien analysé par l’écrivaine Annie Le Brun. Après quelques coups d’éclat, elles débarquent à Kiev en 2007. C’est peu dire que les jeunes femmes risquent gros dans l’atmosphère de brutalité post-soviétique. Une autre femme, venue du sud de l’Ukraine, les rejoint bientôt. Olivier Goujon n’est pas tendre avec Inna, « arrivée au Femen, dit-il, par la soif de reconnaissance et de pouvoir ». Et, de fait, c’est autour de cette fille de militaire que va s’écrire la deuxième époque. Une histoire française.

C’est qu’à Paris la féministe ultra-médiatique Caroline Fourest imagine le profit politique qu’elle pourrait tirer de l’intrusion des Femen dans le paysage français. Tout commence en août 2012 par une mystérieuse exfiltration d’Inna. En réalité, un voyage méthodiquement préparé et mis en scène depuis Paris. À partir de cette date, deux récits vont courir en parallèle. L’un est celui des trois pionnières du mouvement. L’autre est l’œuvre médiatique de Caroline Fourest. Fausse évasion d’Ukraine. Faux attentat dans le local montmartrois des Femen. Héroïsation d’Inna et marginalisation des trois autres. Un épisode illustre la manipulation. Un jour de mars 2014, un homme armé d’un couteau fait irruption dans le local. Oxana s’interpose. Quand elle revient de sa déposition à la police, elle trouve Caroline Fourest et Inna, pourtant absente au moment des faits, au milieu d’une forêt de micros et de caméras. La presse relatera un attentat… contre Inna.

Peu à peu, Oxana et Sacha seront spoliées de leur propre histoire, puis exclues de leur mouvement. « J’ai vu naître et grandir Femen dans des tours taudis de la banlieue de Kiev, je vois aujourd’hui un mouvement lié à la mode, à l’art contemporain et à la mairie de Paris », regrette Olivier Goujon, « et l’argent coule à flots ». Goujon n’est pas Pirandello, mais son livre, étayé et convaincant, donne à réfléchir sur la fragilité de la vérité en ces temps médiatiques.­

Femen. Histoire d’une trahison Olivier Goujon, Max Milo, 360 p., 19,90 euros.

Société
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