Trump terroriste

Le président américain vient de reconnaître Jérusalem comme capitale exclusive d’Israël. Pourquoi prend-il le risque d’un séisme régional ?

Denis Sieffert  • 6 décembre 2017
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Trump terroriste
© photo : SAUL LOEB / AFP

En annonçant mercredi soir le transfert de l’ambassade américaine de Tel-Aviv à Jérusalem et en reconnaissant de fait la ville-sainte comme capitale exclusive d’Israël, Donald Trump a non seulement pris le risque d’un embrasement de la région, mais il a sans doute également alimenté durablement le terrorisme. C’est d’ailleurs une caractéristique assez générale de la politique américaine au Proche-Orient que de favoriser les causes du terrorisme tout en prétendant le combattre. Que Donald Trump se soit gardé de fixer un calendrier pour le déménagement de l’ambassade américaine qui devrait prendre des années, n’y change rien.

Sans trop de gêne, le Secrétaire d’État, Rex Tillerson, a assuré peu avant le discours de Trump que « le président (Trump) est très engagé en faveur du processus de paix au Proche-Orient ». « Nous continuons de croire qu’il y a une très bonne opportunité de faire la paix et le président a une équipe qui est totalement dédiée à cela », a insisté le chef de la diplomatie américaine. Cette équipe censée relancer les pourparlers de paix entre Israël et les Palestiniens, au point mort depuis 2014, est dirigée, faut-il le rappeler, par le gendre de Donald Trump, Jared Kushner, réputé ultra-sioniste. Comme souvent, l’administration américaine, à l’instar du gouvernement israélien, joue sur les mots. Car ce n’est pas « la paix » que demandent les Palestiniens, c’est le droit. La paix, alors que la colonisation continue de galoper, est évidemment une arnaque. La « paix », alors que l’un des principaux enjeux de la négociation, c’est précisément Jérusalem-est comme capitale d’un État palestinien, c’est la paix israélienne.

Rappelons que le partage de 1947 avait sagement proclamé la ville « corpus separatum », et l’avait placée sous régime international. Le refus arabe d’un partage qui, il est vrai, était tout sauf équitable, puis la guerre de 1948, qui a fait suite à la proclamation unilatérale d’Israël, ont rapidement mis un terme à ce statut dérogatoire. La guerre des Six-Jours de juin 1967 et l’entrée des troupes israéliennes dans la partie orientale de la ville, puis son annexion en 1980, ont été des moments décisifs du processus colonial. Mais la communauté internationale n’a jamais reconnu cette annexion. Malgré les pressions israéliennes, les ambassades sont restées à Tel-Aviv. Seul le Congrès américain, en adoptant le Jerusalem Embassy Act, fait planer depuis 1995 la menace d’un transfert que Donald Trump met aujourd’hui à exécution. Cela, en dépit des multiples mises en garde des pays arabes et de la Turquie. Les 57 pays de l’Organisation de la coopération islamique ont prévu de se réunir en urgence.

Flatter un électorat chrétien-sioniste

Pourquoi Trump prend-il le risque d’un séisme régional et de rendre plus difficile le rapprochement en cours entre Israël et l’Arabie saoudite dans un front contre l’Iran ? Plaire au gouvernement d’extrême droite israélien n’est certainement pas une motivation suffisante. Il faut plutôt chercher les raisons du côté de la politique intérieure des Etats-Unis. Trump flatte un électorat chrétien-sioniste qui a eu un rôle décisif dans sa campagne électorale. Les chrétiens sionistes lisent la Bible en interprétant littéralement les mentions qui y sont faites du peuple juif. Or, de nombreux versets bibliques indiquent que Dieu a donné la Terre sainte aux Juifs. Les chrétiens sionistes représentent près d’un tiers de la population, soit 90 millions de personnes. Ils forment un lobby extrêmement actif et déterminé, et pour l’instant, fidèle en toute circonstance à Donald Trump. Celui-ci a sans doute voulu les remobiliser au moment où l’affaire de la collusion avec la Russie se rapproche dangereusement de lui. Une fois de plus, les Palestiniens font les frais d’une histoire qui n’est pas la leur. Cette injustice historique, qui est aujourd’hui aggravée, ne peut que susciter un profond ressentiment dans le monde arabe, et d’abord parmi les Palestiniens. Elle ne manquera pas d’alimenter le discours des mouvements jihadistes.

Accessoirement, la décision de Donald Trump souligne les limites de la diplomatie de « la main dans le dos » d’Emmanuel Macron. Le Président français avait justifié l’accueil très chaleureux qu’il avait réservé à Trump au mois de juillet par l’influence qu’il pourrait avoir par la suite sur l’imprévisible locataire de la Maison Blanche. L’affaire de Jérusalem, venant après le retrait américain de l’accord sur le climat, montre ce qu’il en est.

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