Fake news : Quand le remède est pire que le mal

S’il existe un reproche à adresser aux médias dominants, c’est l’hégémonie de la pensée néolibérale, et ce n’est pas Macron qui le formulera.

Denis Sieffert  • 7 mars 2018
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Fake news : Quand le remède est pire que le mal
© photo : Mehdi FEDOUACH / POOL / AFP

Une loi serait donc en préparation pour combattre les fake news. Les Québécois, auxquels il faut toujours se référer quand on veut parler français, disent « fausses nouvelles ». Mais l’expression anglaise a au moins l’avantage de nous dire quelque chose de l’origine de ce débat. C’est évidemment la campagne de Donald Trump, en 2016, qui a popularisé la formule. On parle aussi de « post-vérité », ce qui masque une réalité effrayante sous des dehors très chics. La diffusion de fausses nouvelles pour discréditer Hillary Clinton a été, on l’a vu, d’une redoutable efficacité, même si la candidate démocrate avait déjà un lourd passif politique. Mais l’affaire est ensuite revenue en boomerang vers le Président américain lorsqu’il a été établi que des agences russes avaient participé à cette entreprise à son profit.

Chez nous, la crainte de subir les mêmes assauts de désinformation donne aujourd’hui l’idée à Emmanuel Macron de préparer un texte qui nous en prémunirait. On nous annonce pour la fin du printemps une loi « sur la confiance et la fiabilité de l’information ». Mais qu’est-ce que la confiance et qu’est-ce que la fiabilité ? L’inconvénient d’une loi de ce genre, c’est que son interprétation est toujours extensible, et qu’elle peut tomber dans d’encore plus mauvaises mains par la suite. D’où notre extrême méfiance. D’ailleurs, à quoi bon puisque la grande loi sur la presse de 1881 punit déjà en son article 27 « la publication, la diffusion ou la reproduction, par quelque moyen que ce soit, de nouvelles fausses, de pièces fabriquées, falsifiées ou mensongèrement attribuées à des tiers… » [1] ?

La turpitude n’a pas changé de nature, même si les réseaux sociaux mettent désormais les fake news à la portée de tous. On ne voit même pas pourquoi les grandes plateformes numériques Facebook, Google, Twitter et YouTube échapperaient à la formulation exhaustive des législateurs de la Troisième République. Nos craintes sont aggravées quand on apprend que le texte permettrait aussi au Conseil supérieur de l’audiovisuel de suspendre la convention d’un média « sous influence étrangère ». On pense aujourd’hui à deux médias russes, la chaîne de télévision RT et l’agence Sputnik. Mais s’il ne s’agit que de cela, on aura alors affaire à une loi de circonstance. Et là non plus rien ne nous prémunit contre un usage extensif. Exemple : on peut être, comme l’auteur de ces lignes, en complet désaccord avec l’analyse de la situation en Syrie proposée par un chroniqueur du Média – on ne sait rien, tout est douteux, parlons d’autre chose, et de toute façon ce sont tous des jihadistes [2]. On peut penser que ce chroniqueur subit de lourdes influences russes ou syriennes. Des influences étrangères donc, mais purement idéologiques. J’aurais à son égard une attitude toute voltairienne : je combats sa « post-vérité », mais je m’opposerais à tout ce qui limiterait son droit à l’exprimer. On voit bien que l’on entre là dans un débat à haut risque pour la liberté de la presse.

Autre exemple qui occupe beaucoup les médias actuellement : l’affaire des comptes de campagne de Mélenchon. France Info, France Inter et Le Parisien en font des gorges chaudes. Mélenchon, lui, ne décolère pas. Mais de quoi parle-t-on ? De fake news ? Auquel cas, il est loisible pour celui qui en est victime d’utiliser l’arsenal juridique existant, loi de 1881 et diffamation. Ou bien parle-t-on d’une hiérarchie de l’information discutable, et peut-être non dépourvue d’arrière-pensées politiques ? Autrement dit, de survalorisation d’une information répétée jusqu’à satiété, et portée avec insistance en ouverture des journaux. Dans ce cas, il n’y a pas de loi pour imposer aux rédactions d’autres choix que les leurs. Et c’est heureux. Et le débat ne serait pas davantage tranché par le « conseil de déontologie » souhaité par Mélenchon. C’est d’ailleurs une vieille lune défendue par la CFDT dans les années 1970.

Enfin, dernier exemple que nous sert l’actualité : Wauquiez. Si l’accusation lancée par celui-ci devant un parterre d’étudiants selon laquelle Sarkozy faisait écouter ses ministres n’est pas une information, alors qu’est-ce qu’une information ? La chose serait gravissime si elle était avérée. Et elle est gravissime s’il s’agit d’une fake news, comme le démenti de Wauquiez le laisse supposer. Nos concitoyens ont évidemment le droit de savoir dans quelle sorte de fange barbotte cette droite très de droite. On aura compris que la loi qui se prépare, comme toute ébauche d’« ordre des journalistes », me paraît être une très mauvaise idée. Et c’est, accessoirement, du point de vue de la majorité macronienne, une opération de diversion. Car s’il existe un reproche à adresser aux médias dominants, c’est l’hégémonie de la pensée néolibérale, et ce n’est pas Macron qui le formulera. La réforme de la SNCF ne fait pas l’ombre d’un doute dans presque toute la presse. La notion de service public est ringarde. Et vive la concurrence, tous azimuts ! Et l’austérité européenne ! Ce qui donne une presse très majoritairement « macronienne ». Là est l’énorme problème démocratique qui ne se règlera par aucun interdit, ni aucune leçon de morale, mais dans le combat politique, les contre-expertises des économistes d’Attac, et le développement d’une presse indépendante. C’est Politis qui vous le dit…

[1] Encore faudrait-il que la saisine soit possible par tous les citoyens.

[2] Ce chroniqueur devrait regarder le site de l’AFP où sont publiées les photos et le récit du photographe de l’AFP Abdulmomam Eassa.

Une analyse au cordeau, et toujours pédagogique, des grandes questions internationales et politiques qui font l’actualité.

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