Aymeric Caron : « Le vivant est une valeur intrinsèque »

L’essayiste Aymeric Caron lance le Rassemblement des écologistes pour le vivant (REV), parti qui défend pour les animaux un droit fondamental à la vie, comme pour les humains.

Patrick Piro  • 16 mai 2018 abonné·es
Aymeric Caron : « Le vivant est une valeur intrinsèque »
© photo : Jens Kalaene/dpa-Zentralbild/ZB/AFP

Depuis quelques années le véganisme a trouvé en Aymeric Caron une figure médiatique. Ex-chroniqueur dans l’émission « On n’est pas couché », journaliste et essayiste classé « écolo de gauche », il a développé ses convictions dans trois ouvrages. Avec No steak (1), il défend l’alimentation végétarienne. Antispéciste : réconcilier l’humain, l’animal, la nature (2) réclame des droits fondamentaux pour les animaux, contestant l’asservissement du vivant aux ambitions des humains (que le spécisme considère comme une espèce supérieure). Enfin, Utopia XXI (3) élargit le propos : contestation radicale de l’économisme libéral, réforme de la démocratie, etc., avec plusieurs propositions clivantes – instauration d’un permis de voter, limitation des naissances ou reconnaissance de « crimes contre l’animalité ». Cet ouvrage inspire une partie du programme du REV, qui veut présenter des candidats aux élections européennes de 2019.

Vous entrez en politique, bien qu’avouant n’avoir aucune attirance pour ce type d’engagement. Pourquoi cette démarche ?

Aymeric Caron : J’ai porté mes idées par l’écriture et la militance associative, et je continuerai de le faire. Mais j’ai acquis le sentiment qu’il fallait poursuivre sur un autre terrain. Lors de rencontres avec mes lecteurs ou lors de débats publics, j’ai été frappé de voir des salles pleines et l’intérêt manifesté par le public pour la quête d’idées neuves. Et il se trouve toujours quelqu’un pour demander : « Pourquoi ne pas créer un parti politique autour de vos idées ? »

Ces idées rejoignent en bien des points celles des écologistes de gauche. Pourquoi fonder un nouveau parti ?

Aymeric Caron

Cofondateur et porte-parole du Rassemblement des écologistes pour le vivant (REV).

Parce que l’écologie politique actuelle ne sert plus à rien en France. Les Cécile Duflot, Jean-Vincent Placé, Emmanuelle Cosse, François de Rugy, Barbara Pompili et autres ont décrédibilisé cette pensée à coups de rendez-vous ratés et d’ambitions carriéristes qui ont pris le pas sur la défense des idées. Europe écologie-Les Verts a récolté 15 % des voix lors des européennes de 2009, avant de tomber à 2 %.

J’ai milité chez les Jeunes Verts dans ma jeunesse, puis je m’en suis éloigné : ce parti qui prétendait faire de la politique « autrement » a fait exactement comme les autres. Cet échec nous incite à réfléchir : comment ne pas tomber dans ces ornières ? Nous promouvons ainsi le non-renouvellement des mandats, ainsi que le refus de professionnaliser la politique, principes qu’EELV n’est jamais parvenu à appliquer. Ou encore la dissociation des fonctions de porte-parole et d’élu : je pourrais continuer à porter nos idées sur les plateaux de télé sans viser à me faire élire. Cependant, cette position est encore en débat au sein du bureau de REV.

Vous avez la dent dure avec une partie d’EELV. Tous dans le même sac ?

J’aurais pu me rapprocher de Karima Delli et de Michèle Rivasi, des députées européennes EELV dont j’apprécie le travail. Mais il existe une raison fondamentale pour ne pas l’avoir fait : l’écologie politique actuelle est dépassée. Je la qualifie de molle ou de superficielle, par opposition à l’écologie « essentielle » que je défends. La base idéologique d’EELV, celle de Nicolas Hulot, de Pierre Rabhi, voire de la France insoumise, considère le vivant au service des humains : il faudrait réduire nos prédations, instaurer des quotas, car l’humanité est en péril. Même point de vue quand on se préoccupe des « générations futures » : il s’agit du sort des humains, et pas de la vie en tant que telle.

Pourtant, le but de sauvegarder les conditions de la vie sur Terre est affiché par les écologistes…

Nous convergeons sur le constat du péril. Mais les écologistes ne dérangent pas vraiment le système aujourd’hui. Le ministre Hulot n’est qu’un bon porte-parole des environnementalistes. Il édulcore pour rester populaire et n’a strictement rien fait de décisif pour l’écologie dans ce gouvernement.

Nous sommes beaucoup plus radicaux dans nos propositions. Nous dépassons cette vision anthropocentrée du monde et de la nature, cette écologie « mathématique » faite de tonnes de CO2 à ne pas émettre, de nombre d’ours à réintroduire, etc. Notre écologie est métaphysique. Pilier de sa pensée : le vivant comme valeur intrinsèque. Chaque être a le même droit qu’un humain à vivre et à se développer. Nous appelons ainsi à la suppression de l’élevage : nous n’avons pas à tuer des cochons ou des poissons. Certes, tout être vivant a besoin de vivant pour s’alimenter. Mais nous défendons le principe d’une empreinte négative minimale sur le vivant : consommer du blé plutôt que du bœuf, ce qui réduit par ailleurs l’impact sur le climat, les sols, la pollution, etc.

Vous sentez-vous plus proche de la décroissance, pensée qui dérange les forces dominantes ?

Dans son acception radicale – anti-productivisme, réduction de la consommation, etc. –, nous assumons totalement le terme, qui devrait figurer dans notre programme.

La Fondation Brigitte-Bardot a annoncé sa présence à la réunion de lancement du Rassemblent des écologistes pour le vivant. Alors que vous vous affichez très à gauche sur les questions de solidarité, de justice, d’égalité… est-ce le grand écart ?

Je critique fortement les prises de position de Brigitte Bardot, proche de l’extrême droite, et je m’étais toujours tenu à distance de sa fondation. Cependant, j’ai croisé à plusieurs reprises Christophe Marie, son porte-parole actuel, que je n’ai jamais entendu professer de propos racistes sur les migrants, par exemple.

Faudrait-il refuser de se parler, alors que la Fondation a tant fait pour les animaux ? Faire de la politique autrement, c’est aussi réinventer le dialogue. La seule question qui vaille : y a-t-il ambiguïté ? Nous sommes très clairs : le REV est un mouvement -universaliste, accueillant pour les migrants, anti-Front national, altermondialiste, pour l’abolition des frontières, etc. On peut donc à l’inverse considérer comme une bonne nouvelle que la Fondation Brigitte-Bardot ait accepté notre invitation !

(1) Fayard, 2013.

(2) Don Quichotte, 2016.

(3) Flammarion, 2017.

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