Nouveau REV pour l’écologie

Le Rassemblement des écologistes pour le vivant (REV) tenait samedi sa première réunion publique autour de la figure médiatique d’Aymeric Caron. Un parti qui se positionne en dépassement d’EELV.

Patrick Piro  • 16 mai 2018 abonné·es
Nouveau REV pour l’écologie
© La réunion publique à Paris a rassemblé 430 personnes, bien au-delà des attentes des organisateurs.Patrick Piro

Les organisateurs attendaient 200 personnes, ils ont dû trouver en urgence une salle deux fois plus vaste qu’initialement prévu, dans le XVIIe arrondissement de Paris. Et c’était encore juste, samedi 12 mai, pour accueillir les quelque 430 participants à la première réunion du Rassemblement des écologistes pour le vivant (REV) : une partie du public est restée debout, « et nous avons dû refuser des inscriptions », indique le juriste Benjamin Joyeux, cofondateur.

« Nous n’avons rien préparé », exagère un peu Aymeric Caron, porte-parole et locomotive du mouvement, l’air d’induire que la petite équipe d’animation est débordée : près de 3 000 personnes ont adhéré au REV en trois mois d’existence. « Nous sommes déjà deux fois plus nombreux qu’Europe écologie-Les Verts [EELV] », brocarde le journaliste et essayiste, dont les ouvrages ont fait mouche au sein du public.

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Un programme très radical

Premières grandes mesures en chantier (voir rev-parti.fr) :

• droits à ne pas être tué, torturé, enfermé, vendu pour tout animal sensible ;

• vers une agriculture bio, relocalisée, entièrement végétalisée ;

• crime d’écocide reconnu, population mondiale maîtrisée ;

• éducation au vivant, plus d’enseignants, revenu d’existence dès 16 ans ;

• fin du critère de la croissance dans les politiques publiques, temps de travail réduit, revenu maximum plafonné, plus de services publics ;

• sortie du nucléaire et des fossiles, vers le zéro déchet ;

• transports publics gratuits, logements vacants réquisitionnés, rénovation thermique généralisée ;

• droit à un environnement sain, à l’eau (en partie gratuite), validation sanitaire des régimes végétarien et végétalien ;

• une nouvelle République : Comité du vivant évaluant les politiques publiques, Sénat remplacé par une Assemblée naturelle veillant au respect du vivant ;

• abandon des frontières, des dettes illégitimes des pays pauvres, désarmement nucléaire.

Le 8 février, il cosignait dans le quotidien Le Monde, avec l’écologiste féministe Malena Azzam et le transfuge d’EELV Benjamin Joyeux, une tribune inaugurale qui incendiait le parti écolo, décrit comme porteur d’une pensée « dépassée » et « molle », par trop accommodée au modèle néolibéral. « Nous voulons revisiter tous les paradigmes en vigueur, lance Aymeric Caron, car aucune formation politique n’est aujourd’hui à la hauteur des vrais enjeux écologiques. Nous voulons devenir une formation politique qui compte, fermement convaincus que nos idées seront un jour au pouvoir, avec ou sans nous. » Avec emphase, André Ménache, directeur d’Antidote Europe (association de lutte contre l’expérimentation animale) voit monter « un tsunami d’opinion publique ».

Colonne vertébrale de la pensée REV : l’antispécisme, qui réclame une égalité de considération pour toutes les espèces animales sensibles, humaines ou non. « Nous avons été parmi les premiers à revendiquer cette approche », se félicite Isabelle Goetz, chargée de campagne de Peta France, opposée à l’exploitation des animaux. Une dizaine d’associations couvrant l’éventail des luttes pour la cause animale avaient répondu présentes à l’invitation de REV. « C’est la première fois que j’entendais, par la voix d’Aymeric Caron, une personnalité s’exprimer avec autant de force en faveur de nos convictions », salue Thierry Hély, président du mouvement anti-corrida Flac. Christophe Marie, porte-parole de la Fondation Brigitte-Bardot, et Madline Reynaud, directrice de l’Association pour la protection des animaux sauvages (Aspas), en attendent des avancées juridiques pour la protection animale. « Un changement de vision », appuie Muriel Arnal, présidente de One Voice, qui prône l’unité des luttes pour les droits des humains, des animaux et de la planète, le credo de son parrain Théodore Monod. Pour Lamya Essemlali, présidente de Sea Shepherd France, qui défend la vie animale marine, ce mouvement peut appuyer la mobilisation du grand public, « seule à même de peser sur les politiques, alors que de la survie des animaux marins dépend de celle des océans, qui conditionne la nôtre ». Les applaudissements les plus nourris vont à L214, dont la notoriété a explosé avec la diffusion de vidéos dénonçant les traitements scandaleux subis par les animaux dans certains abattoirs. « Nous attendons beaucoup de REV, car les avancées législatives sur l’élevage sont très décevantes », commente sa porte-parole, Brigitte Gothière.

Succession de déclarations de sympathie : la réunion vire au rassemblement animaliste. Aymeric Caron sent le danger. « Certains défenseurs des animaux ont un comportement excluant : c’est impensable pour nous. Notre antispécisme est dans la lignée des combats féministe, contre le racisme, contre l’homophobie, pour la non-violence. Et rassurez-vous, nous ne demanderons pas aux gens s’ils sont vegans : ça ne regarde qu’eux. Nous sommes avant tout des défenseurs du vivant, approche qui structure tout notre programme, qui n’est pas limité au seul droit des animaux. Nous avons des positions dans tous les domaines. » (Lire encadré.)

Aymeric Caron a fait jouer son carnet d’adresses, et des personnalités d’horizons variés sont venues lui apporter leur soutien pour un joli coup d’affichage : la styliste Lolita Lempicka revendique « un business glamour et vegan », l’humoriste Bruno Solo se déclare « ardent défenseur de REV, qui estime les gens là où les politiques les méprisent », Sandrine et Joseph Bouglione, membres de la célèbre famille du cirque, ont décidé l’an dernier de renoncer aux spectacles animaliers sous leur chapiteau, ou encore le groupe de rock Shaka Ponk, engagé depuis dix ans pour la cause écologiste. « On trouve étrange que notre espèce se montre incapable de réfléchir au fait qu’elle scie la branche sur laquelle elle est assise », justifie le chanteur Frah.

Dans la salle pointent de nombreuses jeunes têtes. « Les animalistes ancienne mode menaient souvent des combats restreints, souligne Benjamin Joyeux. Par exemple, les défenseurs du grand hamster d’Alsace qui se désintéressaient de la bataille contre le nucléaire. Aujourd’hui, les antispécistes sont beaucoup plus politisés. Il existe une génération de geeks militants, sensibles à la cause animale, et qui agit sur Internet. La question fondamentale qui les préoccupe, c’est la violence faite au vivant dans toutes ses dimensions. Entrer en politique par le biais de ces questions est une formidable voie d’accès populaire. »

Delphine, parisienne, est « naturellement » devenue vegan, à la convergence de ses convictions – non-violence, éthique, écologie. À 40 ans, elle n’avait jamais mis les pieds dans une réunion de ce type, avoue-t-elle. « Mais c’est aussi la première fois que je vois traduit l’antispécisme en un projet politique. » Deux ados, vegans déclarés eux aussi, affirment que leur présence découle d’une approche globale et cohérente de la défense du vivant. Nicolas, la trentaine, formateur en logistique, a fait l’aller-retour de Nantes, « intéressé par la présentation de REV sur Internet ». Il avoue qu’il ne savait même pas ce qu’était l’antispécisme avant, et qu’il est hors de question pour lui de renoncer au poisson. « Quelle est votre position sur la question des migrants ? », interpelle-t-il. Du velours pour Benjamin Joyeux : « Le traitement qui leur est réservé est l’une des grandes hontes de ce siècle. Il faut trouver des voies légales pour les accueillir, avec pour objectif “zéro mort” aux frontières de l’espace Schengen. C’est une des clés de l’Union européenne de demain. » REV entend bien présenter des candidats aux élections européennes de 2019.

Une femme plaide pour l’instauration d’un revenu universel, mesure d’équité et de sécurisation, propre à réduire l’agressivité face aux angoisses de l’époque. Aymeric Caron déroule le volet social : 2 000 euros de revenu d’existence contre 20 heures de travail par semaine ou de la poursuite d’un cursus scolaire, abaissement à 28 heures de la durée hebdomadaire du travail « afin de laisser de la place aux loisirs et à la participation à la vie démocratique. Nous ne concevons pas que notre programme génère du malheur pour les gens, mais du bien-être pour les humains et les non-humains. »

Philippe-Nadji Bouriachi, franco-algérien volubile, se dresse. « Manger un couscous sans viande : ma famille me prend pour un fou ! » Militant communiste dans sa jeunesse, au bord du désengagement chez EELV – « qu’on va remplacer ! » –, et déjà adhérent à REV, il assure avoir l’oreille des quartiers modestes, à Orly (Val-de-Marne). « Quel message leur rapporter demain, pour les faire rêver ? » Nouvelle perche tendue à Aymeric Caron (Benjamin Joyeux jure que ce n’est pas orchestré). « Toutes les mesures économiques de REV sont sociales, dans le sens d’une meilleure égalité au sein des populations humaines. » Convaincu, Philippe Nadji Bouriachi ? « Je sens de la sincérité et de la cohérence. Il faut maintenant convaincre les quartiers de descendre dans l’arène politique. On ne peut pas à la fois rester à 70 % d’abstention aux élections et cultiver la rancœur. »

Patricia se dit rassurée. « Je redoutais un peu de tomber sur une secte vegan ancrée dans les luttes animalistes. Je suis plutôt rassurée par les propos que j’ai entendus et par la charte du mouvement – internationaliste, antiraciste, féministe, sociale, etc. Et je vais militer pour convaincre autour de moi. Que ce soit par l’approche philosophique, politique ou écologiste, ça n’est pas très difficile aujourd’hui de clore le bec de ceux qui nous moquent comme des défenseurs des chiens et des chats. » La cinquantaine, cadre supérieure parisienne, elle fait partie de cette frange politisée du public. Longtemps militante au Parti socialiste, elle s’en est éloignée. « Faute de le voir prendre en charge cette rupture entre l’humain, le vivant et la planète dont j’ai pris conscience à partir du scandale de la vache folle. Mais je n’ai pas non plus trouvé de réponse satisfaisante chez la France insoumise, Génération.s ou la République en marche. L’écologie reste pour eux un supplément d’âme. Quant à EELV, sa débandade actuelle ne plaide pas en sa faveur. »

Ce dernier parti, contrairement à quelques petits groupes écologistes tels que Mouvement écologiste indépendant ou CitoyenS, a décliné l’invitation de REV : la tribune du Monde qui étrillait EELV a irrité, commente Alain Coulombel, membre du bureau exécutif. « Certes, nous ne sommes pas dépositaires attitrés de l’écologie politique, et l’approche de REV, structurée par la question du vivant et de l’animal, constitue une vraie différence avec la nôtre dont on peut discuter, mais nous taper dessus n’est pas de bonne manière politique. »

Si le gros mot de concurrence n’est pas prononcé officiellement, de part et d’autre, on se garde bien cependant, à EELV, de prendre de haut la dynamique de REV. L’eurodéputée Karima Delli, dont Benjamin Joyeux est resté très proche, salue même chaleureusement l’initiative. « Bien sûr, cette envie d’engagement politique et d’alternative nous interpelle. Et cette approche liant le bien-être des humains et des non-humains est un point fort, qui touche aux fondements mêmes de l’écologie politique. J’ai beaucoup d’empathie pour cette démarche, que je n’entends pas critiquer, c’est clair et net. Je la considère comme partenaire. »

La sénatrice EELV Esther Benbassa, classée à la gauche du parti, est pour sa part venue faire un tour à titre personnel, samedi dernier. « Aymeric Caron a fait partie du comité de soutien en faveur de ma réélection, et nous avons de très bons rapports intellectuels. Quand un parti se crée, il est important de comprendre les attentes de son public. Et j’ai de la sympathie pour l’initiative. À condition cependant qu’elle vise au rassemblement, et pas à la dispersion des énergies. Je milite pour que toutes les forces écologistes se rassemblent. »

Samedi, elle n’a pas souhaité prendre la parole. « On va essayer de discuter avec EELV », assure cependant Aymeric Caron. Signal reçu ? Dès lundi, indique son entourage, il recevait un texto de David Cormand, secrétaire national d’EELV, l’invitant à se rencontrer.

Politique
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