De la diversité des mondes arabes

Didier Billion porte un regard résolument politique sur les conflits qui accablent le Moyen-Orient, l’Égypte et le Maghreb.

Denis Sieffert  • 23 mai 2018 abonné·es
De la diversité des mondes arabes
© Une réunion de la Ligue arabe, le 15 janvier 2015 au Caire, en Égypte.MOHAMED EL-SHAHED/AFP

À proprement parler, le livre de Didier Billion n’est pas un essai. Il n’en a pas la forme. Ces quarante synthèses sur « les » mondes arabes sont cependant beaucoup plus que de simples fiches. Car le directeur adjoint de l’Institut de relations internationales et stratégiques (Iris) ne se contente jamais de fournir des informations factuelles, il propose sur chaque pays et chaque conflit une grille de lecture défiant le plus souvent le discours médiatique dominant. 

Au-delà de la rigueur de la documentation et de la richesse des infographies, c’est dans cet engagement que réside l’originalité de l’ouvrage. Billion porte sur les conflits ouverts ou latents qui accablent le Moyen-Orient, l’Égypte et le Maghreb un regard résolument politique, alors que prévalent dans les médias des explications à caractère confessionnel. Il souligne notamment l’instrumentalisation de la rivalité chiisme-sunnisme, qui sert trop souvent de substitut à toute analyse rationnelle. Sans en contester la réalité, Billion réintègre les « facteurs sociaux et politiques ». C’est la révolution iranienne de 1979 qui a conduit certains experts à survaloriser un antagonisme religieux en partie contredit par les « turbulences […] entre l’Arabie saoudite et le Qatar », majoritairement sunnites, ou par le soutien apporté par le Hezbollah libanais (chiite) au Hamas palestinien (sunnite).

Billion déconstruit également les amalgames en vogue quand il s’agit d’analyser les islamismes. Avec une concision qui est une performance, il retrace l’histoire de ce phénomène à partir de la création des Frères musulmans, en 1928, et montre comment « les grands mouvements se réclamant de l’islam politique participent […] au renforcement de l’ordre national et étatique » en passant d’un « islamisme révolutionnaire à des formes d’islamo-nationalisme » et en inscrivant leur action « dans un cadre national ». Ainsi, observe Billion, le Hamas ne s’oppose pas à l’Autorité palestinienne pour des raisons confessionnelles, mais « parce qu’il considère qu’elle a trahi les intérêts nationaux du peuple palestinien ». Il souligne aussi l’intégration du Hezbollah au « jeu politique libanais » et d’Ennahda à la fragile démocratie tunisienne. C’est aussi une clé de compréhension de la crise syrienne et un démenti à ceux qui veulent voir Daech partout, cédant, peut-être inconsciemment, à la propagande de Poutine et de Bachar Al-Assad visant à justifier une horreur symétrique.

Sans esprit de système, Billion parcourt l’histoire, analyse « l’onde de choc » des soulèvements arabes, scrute « bienfaits et malédiction des hydrocarbures », analyse « l’autoritarisme politique », revient sur le « fait sioniste » et les causes de l’échec des accords d’Oslo. Au total, une remarquable synthèse engagée, avec une insistance particulière sur ce pluriel – « les mondes arabes » – qui met en évidence ce qui différencie, et parfois oppose violemment, des pays que réunit une arabité culturelle elle-même d’ailleurs très complexe.

Géopolitique des mondes arabes Didier Billion, Eyrolles, 184 p., 16,90 euros.

Idées
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