« Le ministère de l’Intérieur entrave l’accès au droit d’asile »

Environ 1 700 migrants ont été évacués à l’aube du camp du Millénaire à Paris. Ils vont être hébergés dans des gymnases puis dans des centres en Île-de-France, quand ils ne seront pas remis à la rue. Entretien avec Antoine Decourcelle, responsable Asile de la Cimade.

Ingrid Merckx  • 30 mai 2018
Partager :
« Le ministère de l’Intérieur entrave l’accès au droit d’asile »
© photo : Anthony DEPERRAZ / CrowdSpark

Comment s’est déroulée l’évacuation du camp du Millénaire ?

Plutôt dans le calme. Gérard Collomb avait annoncé qu’il emploierait la manière forte. Il semble qu’il soit revenu sur cette décision. Pour le reste, c’était une opération classique, la 34e de ce type depuis trois ans. C’est devenu la procédure, une triste routine. On peut se demander aujourd’hui ce que vont devenir les migrants de l’autre grand camp de la capitale, sur le canal Saint-Martin…

Où vont être hébergés les migrants partis en car ce matin ?

Les conditions de vie sur le camp étaient très dures. La plupart ont dû accepter de monter dans les cars pour se mettre à l’abri quelques jours et se requinquer. Ils vont être hébergés en urgence dans des gymnases de Paris et d’Île-de-France, où leur situation administrative devrait être examinée. Certains ont peur de ces gymnases, où ils peuvent d’être assignés à résidence. Nous craignons aussi le « tri » demandé aux gestionnaires de ces hébergements d’urgence, qui, théoriquement, doivent respecter un accueil inconditionnel, mais ont désormais mandat de la préfecture pour refuser des mises à l’abri. Ce qui est illégal.

À lire aussi >> Hébergement d’urgence, les associations s’opposent au recensement des étrangers

Que peuvent-ils espérer ensuite ?

Parmi les migrants hébergés, certains vont être envoyés vers un des cinq centres d’accueil et d’examen des situations (CAES) d’Île-de-France, qui sont censés avoir remplacé le camp de réfugiés de la Porte de La Chapelle, « La Bulle ». On ne sait pas grand-chose de ces CAES, dont les adresses ne sont pas connues. L’idée est que les migrants doivent d’abord passer par des centres d’accueil de jour à Paris pour y être orientés. Un des enjeux du problème, c’est le règlement de Dublin: chaque demandeur d’asile doit déposer sa demande dans le pays par lequel il est entré dans l’Union européenne. Depuis l’été 2016, le ministère de l’Intérieur a demandé aux préfectures de démultiplier les procédures Dublin pour empêcher l’enregistrement d’une partie des demandeurs d’asile se trouvant sur le territoire français. Il a volontairement mis dans l’impasse des dizaines de milliers de situations administratives. Le nombre de renvois effectifs n’est pas si important. Les forces de l’ordre n’arriveront pas à renvoyer tous les dublinés vers l’Italie, l’Espagne, la Hongrie, l’Allemagne… Le ministère de l’Intérieur essaie volontairement d’entraver l’accès au droit d’asile.

La procédure met ainsi à la rue des migrants qu’elle va évacuer ensuite ?

C’est très contradictoire : survivaient peut-être dans le camp du Millénaire de nouveaux migrants arrivés d’Italie… Encore que, moins qu’avant. Mais surtout, des migrants qui avaient déjà été hébergés ici ou là, avaient vu leurs dossiers rejetés, tombaient sous le coup du règlement de Dublin: ces migrants n’étaient plus pris en charge et rentraient dans le cadre d’une bataille juridique que nous avons gagnée devant le Conseil d’État concernant les circulaires « hébergement d’urgence » sur les équipes mobiles. Les gens laissés sur le trottoir montent de nouveaux camps. Tant qu’on n’aura pas une vision réaliste des dublinés, ils vont créer une population sans droits qui va errer dans les grandes métropoles. Pour les non-dublinés, la loi Asile communique sur l’accélération des procédures, laquelle se fait au détriment d’un examen approfondi des dossiers. En réalité, les migrants doivent maintenant prendre rendez-vous sur des plates-formes téléphoniques pour s’inscrire sur des plates-formes de préenregistrement, pour obtenir un rendez-vous dans un guichet unique de la préfecture, où on leur remet enfin un dossier Ofpra de demande d’asile. On marche sur la tête…

Soutenez Politis, faites un don.

Chaque jour, Politis donne une voix à celles et ceux qui ne l’ont pas, pour favoriser des prises de conscience politiques et le débat d’idées, par ses enquêtes, reportages et analyses. Parce que chez Politis, on pense que l’émancipation de chacun·e et la vitalité de notre démocratie dépendent (aussi) d’une information libre et indépendante.

Faire Un Don

Pour aller plus loin…

­À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits
Luttes 18 avril 2024 abonné·es

­À la Maison des métallos, des mineurs isolés se mobilisent pour leurs droits

Depuis le 6 avril, des mineurs isolés du collectif des jeunes du parc de Belleville ont décidé d’occuper ce lieu parisien symbolique des luttes sociales, pour dénoncer leur situation, davantage fragilisée par l’arrivée des Jeux olympiques.
Par Léa Lebastard
Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus
Justice 18 avril 2024 abonné·es

Au procès des militants basques de Louhossoa, un parquet antiterroriste obtus

Les 2 et 3 avril derniers, à Paris, Jean-Noël « Txetx » Etcheverry et Béatrice Molle-Haran répondaient de leur participation à l’opération de désarmement de l’organisation de lutte armée ETA en 2016, à Louhossoa, au Pays basque. Avec cette question : un acte illégal, mais qui s’est avéré légitime, mérite-t-il d’être puni ?
Par Patrick Piro
S’adapter à la répression pour ne pas relâcher la pression
Analyse 17 avril 2024 abonné·es

S’adapter à la répression pour ne pas relâcher la pression

Ces dernières années, les luttes écologistes subissent une brutalité croissante des forces de l’ordre. Face à la disproportion des moyens employés par l’État, les militants cherchent à adapter leurs modes d’action.
Par Maxime Sirvins
À Marseille, de très sales conditions de travail 
Reportage 17 avril 2024 abonné·es

À Marseille, de très sales conditions de travail 

Des agents de blanchisserie hospitalière, salariés de Pamar, sont en grève. Victimes de situations indignes et même de menaces de mort, ils portent plainte contre l’agence régionale de santé pour inaction.
Par Timothée Vinchon