Les deux roues de la lutte climatique d’Alternatiba

Le tour cycliste Alternatiba mobilise des milliers de personnes en France contre le dérèglement climatique, prêtes aux alternatives mais aussi à actions de résistances non-violentes.

Patrick Piro  • 29 août 2018 abonné·es
Les deux roues de la lutte climatique d’Alternatiba
photo : La vélorution accompagnant l’arrivée du tour Alternatiba à Lyon a rassemblé près de 400 cyclistes. n
© Patrick Piro

Pauline et José partagent une petite grimace : ils auraient bien aimé la conclure à la pédale au côté de leurs compagnons, cette prometteuse étape lyonnaise du tour Alternatiba. Mais l’une est affectée ce jour-là à l’animation d’une formation à l’action non-violente, et l’autre au pilotage d’une des deux camionnettes logistiques.

Former à la résistance non-violente Lors de chaque étape, le tour Alternatiba anime une conférence sur la lutte contre le dérèglement climatique. Si les pratiques alternatives sont en bonne place – énergie, alimentation, économie, etc. –, l’équipe a innové depuis 2015 en proposant une formation à la résistance non-violente. À Besançon et à Lyon, elle a été suivie par plus de 60 personnes. « Alternatives et résistance, les deux jambes indispensable à l’action », résume Pauline, formatrice. Les deux roues du vélo Alternatiba. « Parce que nous n’y arriverons pas sans nous opposer aussi aux projets climaticides. » Cette complémentarité s’est dessinée fin 2015 avec l’émergence du mouvement Action non-violente-COP 21 (ANV-COP 21), qui a notamment bloqué en partie un sommet pétrolier organisé par Total à Pau en avril 2016 (lire Politis n° 1399, du 14 avril 2016). « Mais il ne faut surtout pas en conclure que c’est réservé à ceux qui sont prêts à s’exposer aux gaz lacrymogènes et à des ennuis juridiques, tout le monde peut y trouver sa place », insiste Pauline. Contrepoint avec les délicieuses crèches sauvages organisées avec des bambins fin 2016 devant des agences BNP-Paribas pour dénoncer la participation de la banque à une évasion fiscale dont 20 % suffirait à combler le manque de places d’accueil pour les jeunes enfants. Les grands principes de l’action non-violente ANV-COP 21 : pas de réponse physique ni verbale à l’agression, pas de dégradations de biens, présence de médiateurs pour dialoguer avec les personnels et les passants, port de dossards identifiant les participants. Plus de 100 de ces formations auront été organisées pendant le tour Alternatiba, et avaient déjà touché 1 300 personnes lorsque le tour est arrivé à Lyon.
Cette semaine-là, l’équipée cycliste réunissait aussi Anne-So, Arthur, Aude, Baptiste, Cal, Damien, Eneko, Fanny, Rémi, Samuel et Sofiane, venus de Clermont-Ferrand, Montpellier, Saint-Malo, Nantes, Toulon, Genève ou Bayonne. C’est la deuxième édition de ce tour de France (1), coorganisé par le jeune mouvement Alternatiba, Action non-violente COP 21 (ANV-COP 21) et les Amis de la Terre, et il avale gaillardement son 3 900e kilomètre quelque part vers Bron en cette après-midi du dimanche 26 août.

La dizaine de militants, qui se renouvelle tout au long des quatre mois d’un périple au lent cours, pédale à l’approche du Rhône sur des routes sans charmes, où l’agacement des automobilistes se fait parfois clairement sentir. Au milieu du convoi tranquille roulent deux triplettes (vélos trois places) portant la bannière verte du tour, qui a placé la petite reine en première ligne de sa croisade contre le dérèglement climatique.

Lyon était resté dans les mémoires comme l’une des plus marquantes étapes de la première édition du tour, qui s’était élancé à l’été 2015 de Bayonne pour converger vers la capitale, où se préparait fiévreusement la COP 21 et l’Accord de Paris sur la réduction planétaire des gaz à effet de serre. Le tour 2018 a choisi une trajectoire inverse, parti de Paris le 9 juin, pour une arrivée prévue le 6 octobre dans la ville basque, au bout de 5 800 kilomètres et 200 territoires traversés.

Comme à chaque étape (souvent deux par jour), les derniers kilomètres sont effectués en formation « vélorution » : on sort de la camionnette la quadruplette quatre places, peu adaptée aux longs trajets mais emblématique du « pédaler ensemble », et des grappes de sympathisants locaux, souvent venus en famille, s’agglutinent à l’équipée cycliste. « Préparez vos guiboles, c’est la fin du pétrole ! » « Libérez les cyclistes enfermés dans les voitures ! » « On avance, on n’a pas assez d’essence ! » Des passants s’arrêtent, interloqués. D’autres sourient, et parfois applaudissent. La déambulation a rassemblé près de 400 vélos dans Lyon, destination le parc Blandan, où s’achèvent deux journées d’un Village Alternatiba, organisé par le groupe local du mouvement avec des dizaines d’associations et de partenaires : solutions concrètes contre le dérèglement, conférences, ateliers pratiques, jeux pédagogiques, projections-débats, etc. En clôture, un concert animé par les Fat Bastards et le Bonk, deux excellents groupes lyonnais, défoule une jeune foule dans le groove des Balkans et de l’electro-brass. « Militer, oui, mais dans le plaisir », souligne très satisfait Pierre, l’un des animateurs de la rencontre.

La caravane 2015 avait regonflé le moral des troupes pour faire pression sur les gouvernements en vue de la COP 21, alors que la mobilisation climatique s’était sérieusement étiolée depuis quelques années. Égrainés le long du parcours, des dizaines de villages Alternatiba avaient fleuri, connectant des acteurs locaux qui s’ignoraient, engagés dans la sobriété énergétique, la mobilité douce, l’agriculture durable et relocalisée, les circuits économiques courts, la justice climatique, etc. Alternatiba avait revendiqué près de 600 000 personnes touchées.

« Et puis… on a constaté la maigreur des engagements à la COP 21 », rappelle Txetx Etcheverry, de l’association basque Bizi, à l’origine du mouvement Alternatiba. Même si les gouvernements tiennent toutes leurs promesses de réduction des gaz à effet de serre – et ils sont loin d’en prendre le chemin –, les scientifiques du Giec (2) indiquent que la planète se réchaufferait d’au moins 3 à 3,5 °C, soit bien au-delà de 2 °C, le plafond qui laisse l’espoir d’échapper aux bouleversements les plus profonds. « Ce tour cycliste tourne symboliquement le dos à Paris et à son Accord pour revenir vers les territoires, dont le Giec nous dit qu’ils recèlent 50 à 70 % des solutions pour enrayer la catastrophe qui vient, poursuit Txetx Etcheverry. Nous voulons inciter les militants à imposer d’ambitieuses politiques locales de transition écologique. Une piste immédiate : faire pression pour l’obtention de bons “plans climat”, que chaque collectivité de plus de 50 000 habitants devra adopter à partir de 2019. »

La Tour-du-Pin, 8 000 habitants, étape précédant le rendez-vous lyonnais. « Une copine de Dijon nous a sollicités, et nous pensions au départ nous limiter à un accueil solidaire, sourit Laurence. Mais de nombreuses associations de la ville ont manifesté un intérêt marqué, qui nous a poussés à organiser un événement plus conséquent. » Avec son compagnon, Guy, elle a créé l’an dernier le Mouvement citoyen pour des vals du Dauphiné en transition, qui réunit 23 associations impliquées dans la lutte climatique. Toutes sont présentes ce jour-là avec leur stand au stade de rugby, ouvert par la ville pour l’occasion. Un jeune « Repair café », qui assiste les gens dans la réparation d’appareils domestiques en panne (au lieu de les jeter) s’étonne de l’engouement qu’il suscite. Une parabole solaire, qui peut cuire des aliments à 350 °C, côtoie les publications sur l’ancien château médiéval d’une inattendue association de préservation du patrimoine local. « Le climat n’est pas notre objet, mais nous nous retrouvons parfaitement dans cette stratégie de défense de valeurs locales promue par Alternatiba », explique Jean-Jacques. De passage chez des amis, Corynne a rejoint le lendemain, avec une trentaine d’autres cyclistes, la petite « vélorution » organisée entre Bourgoin-Jallieu et Saint-Alban-de-Roche. « J’ai appris qu’il y avait un groupe Alternatiba à Dijon, près de chez moi, je vais m’y brancher. »

C’est une circonstance similaire à celle de La Tour-du-Pin – un appel du pied des voisins de Givors, étape 2015 –, qui a décidé Philippe à recevoir le tour à Vienne, où les alternatives citoyennes du film Demain ont donné naissance il y a deux ans au collectif Demain ad’Vienne. « L’initiative a trouvé un écho spontané. Qui peut encore prétendre que le dérèglement climatique n’a pas lieu ? »

Les territoires traversés se sont ainsi renouvelés aux deux tiers depuis le tour 2015. « Tout le monde connaît désormais Alternatiba, la notoriété est forte », constate Fanny, l’une des coordinatrices nationales du mouvement. La projection du film Irrintzina, le cri de la génération climat, qui en retrace la dynamique (3), est un déclencheur fréquent de l’intérêt des néo-sympathisants.

À Dreux, choc de deux mondes étanches, avec le croisement de l’énorme caravane sportivo-publicitaire du Tour de France. « On est allé diffuser notre message devant les hôtels des équipes, témoigne Damien. Les pros sont restés perplexes devant les triplettes… » Vaulx-en-Velin, qui jouxte Lyon, raconte une autre histoire de vélo. Le tour est reçu au siège de la Nef, la banque éthique. « Plus de 70 % de nos placements sont directement liés à l’environnement », rappelle son directeur, Bernard Horenbeek. Addbike, jeune entreprise lyonnaise soutenue par la Nef, présente son astucieux vélo-triporteur urbain, adapté au transport des enfants et de petites charges.

« Le tour approfondit une dynamique dont les bases ont été posées en 2015, notamment dans les villes où existaient déjà des groupes Alternatiba », se félicite Fanny. Mais le monde rural n’est pas en reste, et les cyclistes ont roulé sur du velours dans des villages très engagés comme Ungersheim (Haut-Rhin). Langouët (Ille-et-Vilaine) a proposé d’accueillir un camp climat l’été prochain. À Saint-Vitte-sur-Briance (Haute-Vienne), la traditionnelle fête estivale s’est muée en un Village Alternatiba – alimentation bio, monnaie locale, etc. « Et le principe semble désormais adopté », relève Fanny.

Elle distingue aussi l’étape du départ, porteuse d’un message politique. « À Paris, nous avons été accompagnés par de nombreux partenaires nationaux, à fond derrière nous, et même plus qu’en 2015. » De bon augure pour l’arrivée à Bayonne le 6 octobre, où sont attendues 30 000 personnes. Dans la même semaine, le Giec rendra public un rapport très sensible sur les conditions qui permettraient de limiter le réchauffement planétaire à 1,5 °C d’augmentation. « Nous comptons lui faire caisse de résonance, car il se diffuse dans la société le sentiment que cette bataille est perdue d’avance. Mais comment se résigner, quand les scientifiques nous montrent le poids des conséquences, ne serait-ce que de 0,1 °C supplémentaire ? s’élève Txetx Etcheverry. Il faut ancrer des stratégies de transition ainsi que de nouveaux rapports de force à partir des territoires. Et changer de braquet maintenant. » Changer « d’échelle, de scope, de paradigme », a dit Hulot en démissionnant mardi 28 août.

(1) Avec des incursions en Belgique, Allemagne, Suisse et Espagne.

(2) Groupe d’experts intergouvernemental sur l’évolution du climat.

(3) Lire Politis n° 1456 (1er juin 2017).

Écologie
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