Kenya : la mort de 11 rhinocéros interroge la réintroduction d’espèces sauvages

Le fiasco d’une opération du gouvernement kenyan et du WWF montre qu’il n’est pas possible de déplacer des animaux dans des écosystèmes inadaptés.

Claude-Marie Vadrot  • 17 septembre 2018
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Kenya : la mort de 11 rhinocéros interroge la réintroduction d’espèces sauvages
© photo : TONY KARUMBA / AFP

En juin, onze rhinocéros du Kenya ont été transférés du parc national de Nairobi vers un autre parc national du pays, celui de Tsavo-Est. Ce déplacement a été célébré en grande pompe par le ministre du Tourisme kenyan et le WWF. C’est la fin d’un programme qui a coûté plusieurs millions de dollars – dont une partie a été financée par le WWF. L’ONG n’a pas eu le temps de se réjouir, puisque quelques semaines plus tard les onze rhinocéros noirs étaient morts. Les causes restent mal déterminées, mais il est sûr que les avis pessimistes des scientifiques responsables de cette « déportation » à caractère publicitaire n’ont pas été écoutés.

Parmi les hypothèses : le nouveau pâturage aurait été très différent de celui auquel ces animaux étaient habitués et l’eau qu’ils buvaient était trop salée, ce qui a entraîné une rapide déshydratation. Bref, quelles que soient les raisons, cette affaire illustre une réalité souvent ignorée par les pays et les « protecteurs de la nature » : les animaux en voie de disparition, pour cause de tourisme de masse, de changement climatique, de déforestation ou de braconnage, ne sont pas des « meubles » que l’on peut déplacer sans risques. Qu’il s’agisse de petits ou de grands mammifères, de félins ou d’oiseaux, chaque espèce vit, se nourrit, se reproduit, se protège des prédateurs dans des écosystèmes particuliers, résultats d’une évolution et d’une adaptation forgées par des millénaires.

Animaux imprégnés en captivité

Cet « accident », qui n’est hélas pas le premier, illustre les illusions des êtres humains engendrées par le besoin de compenser artificiellement les dégâts infligés à la biodiversité. Cela est encore plus vrai lorsqu’il s’agit de transférer des spécimens de zoos dans la nature. Ainsi, après l’annonce il y a quelques jours que le grand perroquet bleu d’Amazonie venait d’être classé dans la catégorie des espèces disparues, un parc zoologique belge, qui en possède de nombreux exemplaires captifs, a fait savoir qu’il était en train d’étudier la possibilité de les réintroduire. Comme si un animal qui a vécu depuis des années dans une cage et donc imprégné, en recevant toutes sa nourriture de la main humaine, pouvait survivre dans son écosystème d’origine. La plupart des expériences faites avec des oiseaux ou des mammifères ont échoué. Cela rend la justification de l’existence des parcs zoologiques mensongère.

En général, la réintroduction, même sous caution scientifique, des lions, des tigres, des okapis, des léopards, des pumas et des grands oiseaux échoue. Et si la réintroduction des ours venus de Slovénie dans les Pyrénées a pu réussir, c’est parce que l’écosystème pyrénéen est rigoureusement le même que le slovène, et surtout parce que les plantigrades n’ont pas été captifs plus de 24 heures, le temps du transport. La justification de l’existence des zoos peut être d’ordre éducatif, mais elle n’a aucun intérêt pour le retour d’une espèce dans son écosystème d’origine.

Écologie
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