Labourer la bourrée

La terre et la Terre sont au cœur de la 22e édition du festival Vivat la danse !, qui promeut une « écologie des corps et de la vie ».

Jérôme Provençal  • 15 janvier 2019 abonné·es
Labourer la bourrée
photo : Madeleine Fournier est tour à tour danseuse, chanteuse, mime…
© Tamara Seilman

Située au nord de la France, tout près de la Belgique, la ville d’Armentières abrite le Vivat, scène conventionnée d’intérêt national, dont l’éclectique ligne artistique traduit un intérêt soutenu pour le champ de la création chorégraphique, via notamment le festival Vivat la danse ! Se déployant dans divers lieux de la région Hauts-de-France, l’édition 2019 arbore un intitulé tout aussi exclamatif : « Terre ! » « Pour une écologie des corps et de la vie », est-il précisé dans l’édito de la brochure du festival.

La terre et par extension le territoire sont ainsi les deux notions, si prégnantes dans le monde actuel, qui sous-tendent et traversent tout le programme. Celui-ci démarre avec D’à côté, la dernière création en date de Christian Rizzo. Destinée aux enfants comme aux adultes, la pièce fait advenir sur scène un monde mystérieux à l’atmosphère onirique, traversé par des figures fantasmagoriques, et ouvre grand l’imaginaire. Son éclat suggestif résulte en particulier du travail très sophistiqué sur les lumières et les sons, comme à l’accoutumée chez Rizzo. Composante essentielle de cette rêverie sensorielle, la musique est l’œuvre de Puce Moment, duo formé par les multi-instrumentistes Nicolas Devos et Pénélope Michel.

Dans le cadre du festival, Puce Moment présente également O.R.G., création conçue spécialement pour le Café des Orgues, à Herzeele. Cet estaminet où l’on trinque et où l’on tangue se démarque grâce à ses trois imposants orgues mécaniques construits durant la première moitié du XXe siècle. Fascinés par ces majestueux instruments, Nicolas Devos et Pénélope Michel ont élaboré pour eux une partition originale, largement répétitive. Jouée par des automates actionnant les orgues, leur musique tendue vers la transe entre en résonance avec des danses qui dérivent de la bourrée auvergnate : un alliage pour le moins détonant !

Supervisant les danses d’O.R.G., la chorégraphe et danseuse Madeleine Fournier creuse par ailleurs le sillon de la bourrée avec Labourer, solo dont elle est à la fois l’auteure et l’interprète très complète – tour à tour danseuse, chanteuse, comédienne et mime. Au fil d’un processus cathartique prenant une forme très rythmique et organique, la jeune femme s’attache à sonder en profondeur son univers intérieur et, dans le même mouvement, à exprimer divers aspects de la féminité.

On retrouve le geste (et la geste) du laboureur – et plus généralement de l’agriculteur – dans Champ constant, nouvelle création de la chorégraphe Céline Cartillier, réalisée en collaboration avec Johann Nöhles. Se fondant sur un important travail d’approche documentaire et de nombreuses lectures, la pièce livre une évocation sensible du monde paysan à travers la transplantation de gestes et de rituels anciens (voire ancestraux) sur le terrain du mouvement contemporain.

De son côté, Latifa Laâbissi aborde la question du territoire sous un angle sociopolitique et sur un mode résolument caustique avec Self portrait camouflage. D’une grande liberté de ton, ce solo distancié – et très peuplé – se confronte au passé colonialiste de la France et se réfère en particulier aux dégradantes exhibitions publiques d’êtres humains, pratiquées notamment dans le cadre des premières expositions universelles. En résulte une sorte de carnaval minimal, à la fois burlesque et inquiétant, qui fait allégrement valser les signes et vaciller les symboles.

Dans un registre beaucoup plus léger, Let’s dance, pétaradant bal rock interactif orchestré par Bérénice Legrand, invite à s’adonner sans retenue ni complexes aux salutaires plaisirs du danser-ensemble.

Très attractive, cette 22e édition de Vivat la danse ! réunit au total une quinzaine de pièces, auxquelles s’ajoutent des étapes de création, des impromptus, des intermèdes, des ateliers, une master class de danse classique et des séances de reiki (technique de relaxation au moyen de l’apposition des mains).

Vivat la danse ! Du 22 janvier au 2 février à Armentières et plusieurs autres villes, www.levivat.net

Spectacle vivant
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